FEMMES PRÊTRES ? QUELQUES POINTS-CLÉS par le Cardinal Giacomo Biffi

Le Cardinal Giacomo Biffi, archevêque émérite de Bologne, donne ici quelques éléments théologiques. 

"En Mars 1994 est arrivée la nouvelle - et elle a figuré en bonne place dans les médias - que l'Église anglicane avait admis également les femmes à l'ordination sacerdotale.
Il était inévitable que dans notre opinion publique, quelque voix s'élève pour souligner la modernité et le courage de cet authentique «tournant» ecclésial destiné à faire date; et dans le même temps déplorer le peu d'attention à la mentalité de notre époque et le traditionalisme obtus de l'Église catholique.
A la vérité, une certaine perplexité à cet égard pourrait naître dans l'âme de nos fidèles. Il est donc nécessaire que cette question, qui n'est pas marginale, soit ouvertement discutée. Il ne s'agit pas seulement de pratique ou de règle disciplinaire: la question concerne le patrimoine des vérités révélées.

Nous allons l'affronter ici de manière organique, bien conscient de son caractère purement théologique. Nous exposerons méthodiquement, simplement, certains aspects de la doctrine catholique de sorte que la parole, quoique synthétique, soit claire et ne laisse aucune place à l'ambiguïté.

Ce n'est un droit pour personne

L'accès au sacerdoce ministériel n'est un droit pour personne, qu'il soit homme ou femme. C'est un devoir particulier et d'une responsabilité unique au service de la vie ecclésiale et dans le respect de la constitution intrinsèque de la «nation sainte», comme le Seigneur Jésus l'a voulue. Il résulte nécessairement d'une décision de l'évêque, chef et époux de la communauté chrétienne, prise à la lumière des besoins réels de son Église et exercée librement, mais toujours dans les limites de la seule volonté de l'unique Seigneur.

La "dignité égale" n'est pas en jeu

Le problème n'est donc pas lié à une prérogative originelle des personnes, pas non plus à leur dignité inaliénable, qu'elle soit laïque ou religieuse, comme le serait, par exemple dans le domaine civil le droit des citoyens à voter, et dans la vie ecclésiale le droit des croyants (qui auraient les dispositions nécessaires) à recevoir l'Eucharistie.
Dans ce discours, la question de l'égalité de statut entre les sexes, et le thème de la promotion des femmes, n'ont rien à voir.

Peut-être une comparaison est-elle utile. Il est établi que les «cuirassiers» (qui constituent la garde du président de la république) ne peuvent mesurer moins de 190 cm. Quiconque aurait le désir (ou la vocation) d'entrer dans ce "corps", mais aurait une stature inférieure, ne pourrait pas en appeler au principe que tous les Italiens devraient avoir les mêmes droits.

Douze "hommes"

Au ministère apostolique, Jésus n'appelle pas six hommes et six femmes (par respect de l'idéologie aujourd'hui à la mode de la "par condicio"): il choisit douze hommes (cf. Mc 3,13-14.). Et toutes les Églises dignes de ce nom, en Orient et en Occident, ont considéré dès les origines que son comportement dans une circonstance d'une telle importance était exemplaire, et même normatif, avec la conviction qu'il n'était pas dans leur pouvoir de modifier cette pratique établie par le Fondateur.

Le Fils de Dieu exerce à cette occasion cette liberté de choix qui n'est conditionnée par rien ni personne: «Il appelle qui Il veut, Lui» (Mc 3,13). La tradition johannique nous dit qu'il aimait rappeler cette décision complètement autonome de sa part: «Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, mais c'est moi qui vous ai choisis» (Jean 15:16).
Si, par l'absurde, il avait demandé l'opinion de la culture aujourd'hui dominante, il se serait entendu suggérer de choisir six hommes et six femmes, toute répartition différente aurait contredit le principe sacro-saint de "l'égalité" entre les sexes.
Mais il n'a pas pris la peine de demander; et ainsi le Roi de l'Univers, le Seigneur de l'histoire, le Fils unique du Père, est soumis à l'accusation du "monde", d'être "politiquement incorrect".

Une perspective fondamentalement plus élevée

Tout cela obéit à un dessein non pas mondain, mais transcendant, qui ne poursuit pas le mythe d'une égalité abstraite et indifférenciée, mais veut exalter les diversités individuelles appréciables, harmonisant leurs valeurs respectives au sein d'une unique et multiforme communion vivante. Celui qui a appelé une femme (et non un homme) à être la créature la plus belle, à collaborer de la manière la plus décisive et la plus large à l'œuvre de rédemption et à être l'image, l'anticipation, la mère de toute la réalité ecclésiale, a réservée aux hommes (et non aux femmes) le ministère apostolique.

Demandons-nous: le jour de la Pentecôte (à l'heure de la naissance de l'Eglise), qui était la personne la plus importante, fondamentale?
Sur le plan apostolique, magistériel, disciplinaire, c'était Pierre: c'est lui qui parlait, témoignait publiquement l'événement pascal, exhortait, initiait la vie sacramentelle; mais au plan profond et mystèrique, c'était Marie, chez laquelle "dans sa coquille" vivait déjà l'Église toute entière: c'était elle qui garantissait la renaissance et l'expansion de la foi, de l'espérance, de la charité (vertus qu'elle avait préservées seulement dans son coeur, comme on conserve une graine, après le vendredi Saint), et qui donnait vie, dans l'unique stratégie rédemptrice au "principe féminin du salut."

L'équivoque historiciste 

On ne peut pas non plus supposer que Jésus n'a appelé que des hommes à faire partie du collège apostolique en raison de la culture machiste de son temps qui le
conditionnait; c'est historiquement insoutenable en plus d'être théologiquement irrespectueux envers le Fils de Dieu. En effet, il prouve à plusieurs reprises qu'il peut contredire les persuasions les plus enracinées dans la mentalité dominante de l'époque: il proclame, contre les croyances tranquilles du judaïsme et du monde gréco-romain, que le mariage est indissoluble, jusqu'à affirmer: «Celui qui épouse une femme répudiée commet un adultère» (Mat 5:32); il propose comme souhaitable et réalisable avec la grâce de Dieu l'idéal (qui semblait complètement absurde) de la virginité totale et définitive pour le Royaume (cf. Mt 19:12); il choisit parmi les femmes, contre toutes les coutumes juives, les premiers témoins de la résurrection.
En un mot, le Seigneur de l'histoire n'est jamais un esclave de l'histoire.

La réalité sacramentelle

Les sacrements sont célébrés en respectant les conditions prévues par leur auteur: c'est une règle à laquelle on ne peut déroger.
Tant pour le rite eucharistique que pour le sacerdoce ministériel, l'Église, tout au long de son histoire pluriséculaire, s'en est toujours tenue à ce qui lui a eté demandé de faire et n'a jamais pensé qu'en cette matière, il était en son pouvoir de modifier l'héritage reçu. Tout comme on ne peut pas utiliser le gâteau de riz et le Coca-Cola pour le rite du Corps et du Sang du Christ, mais on doit utiliser le pain et le vin (quelles que soient les cultures et les habitudes alimentaires de la région et des gens), de la même façon, on ne peut pas changer les sujets de l'ordre sacré: dans les deux cas, on ne peut pas s'écarter de l'exemple et de la pratique du Christ.

Les modifications ne sont pas possibles

On ne peut pas non plus affirmer que le sacerdoce dans l'Eglise catholique est "pour l'instant" fermé aux femmes: de cette façon, on ne préserve pas la substance de ce que nous avons essayé de comprendre jusqu'ici. Introduire un "pour l'instant" signifie laisser croire qu'il s'agit d'une simple mesure disciplinaire, alors qu'il s'agit d'une vérité qui se rapporte à l'intégrité de la foi. On peut dire "pour l'instant" la fête de l'Epiphanie est fixé au 6 Janvier, et "pour l'instant" les Congrégations romaines ont cette organisation; on ne peut pas dire que "pour l'instant" les femmes ne peuvent pas être validement ordonnés.

Remarques œcuméniques

Quant aux reflets œcuméniques de la question, deux remarques nous semblent opportunes.
1. Dans les confessions chrétiennes issues de la Réforme (ou assimilées à elles), le problème ne se pose même pas, parce qu'elles ne possèdent pas de sacerdoce ministériel. Elles font donc très bien de confier aux femmes la fonction de "pasteurs", tout comme nous faisons bien de confier aux femmes la fonction de catéchistes.
2. L'Eglise anglicane qui a gardé l'idée et la valeur ecclésiale du ministère apostolique, s'est privée avec l'ordination des femmes d'un élément essentiel de ressemblance et de connexion non seulement avec l'Église catholique, mais aussi avec l'Eglise orthodoxe et avec toutes les autres Églises orientales; et même avec cet acte, elle a rompu avec sa propre histoire ..

Extrait de "Dodici digressioni di un italiano cardinale" Editions Cantagalli, 2011
Pages 41-46 Traduction et Source : "Benoît et Moi"

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