Homélie de Mgr d’Ornellas pour l’ordination épiscopale de Mgr Bondu

 Publié le 27 janvier 2023

Ordination épiscopale de Mgr Jean Bondu, évêque auxiliaire de Rennes.
Homélie de Mgr Pierre d’Ornellas, archevêque de Rennes.
Cathédrale Saint-Pierre de Rennes, le 22 janvier 2023.

Les textes :

1ère lecture : Isaïe 8, 23b – 9, 3
Psaume 26
2ème lecture :  1 Corinthiens 1,10 –13.17
Évangile de saint Matthieu 4, 12-23

Chers amis,

Nous entendons dans le livre d’Isaïe la grande prophétie qui est aujourd’hui valable, comme elle l’était hier et comme elle le sera demain : « Tu as prodigué la joie, tu as fait grandir l’allégresse. » Voilà l’œuvre de notre Dieu, alors qu’il était précisé que « dans un premier temps, le Seigneur a couvert de honte le pays de Zabulon et le pays de Nephtali ».

« Tu as prodigué la joie, l’allégresse. » Nous nous souvenons que Jésus, juste avant de partir pour sa Passion, prononce cette phrase pour ses Apôtres : « Tout ce que je vous ai dit – toute la Parole de Dieu qui est pleinement dévoilée en moi – c’est pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite. » (Jean 15,11) La joie de Jésus, nous pouvons la contempler.

Jésus appelle

Dans la beauté de la liturgie et la splendeur de cette cathédrale, qui expriment ensemble le merveilleux trésor de notre foi, il nous est bon de contempler cette joie dans la simplicité de Jésus, tel que l’Évangile nous le montre : il chemine le long de la mer de Galilée, il rencontre des pêcheurs avec leur filet et leur barque, il s’approche et il les appelle. Voilà Pierre et André, Jacques et Jean, qui partent à la suite du Christ. Ils sont appelés.

L’Appel des Apôtres, œuvre de Garin, au Séminaire Saint-Yves à Rennes
L’Appel des Apôtres, œuvre de Garin, au Séminaire Saint-Yves à Rennes

Qu’il est mystérieux cet appel ! Dans cet Évangile, nous entendons « Venez à ma suite », comme si l’évangéliste voulait frapper nos oreilles par l’appel. En effet, rien d’autre ne nous est dit sinon cet appel. Voilà que le Seigneur Jésus appelle ! Celui qui est rempli de joie, celui en qui Dieu a prodigué l’allégresse, celui sur qui a été prononcée cette Parole : « Tu es mon Fils bien aimé, en toi j’ai mis toute ma joie[1] », le voilà qui appelle. Et il appelle pour la joie !

Jésus est aussi la « grande lumière » qui vient parmi nous, comme le rapporte l’Évangile. Habitant parmi nous, lui qui est lumière et joie, il est celui qui appelle à sa suite. Il appelle ceux qui deviendront ses Apôtres en recevant une mission particulière, qu’ils n’avaient jamais imaginée, qui n’était jamais montée au cœur de l’homme[2] : « Je vous ferai pêcheurs d’hommes. » Les voilà Apôtres !

Le Collège des Apôtres et des évêques

Ainsi, Jésus établit les Douze Apôtres, au milieu desquels il y a Pierre, le premier à confesser la foi véritable[3]. Nous le savons, aux Apôtres succèdent les évêques au milieu desquels se trouve le Successeur de Pierre, aujourd’hui le pape François.

Ce groupe des Apôtres qui a commencé dès l’origine de l’Église, perdure à travers l’histoire. Ce groupe est stable. C’est pourquoi nous l’appelons un « collège », au sens de la stabilité. Au Collège des Apôtres succède le Collège des évêques qui reçoivent, comme nous l’entendrons tout à l’heure, la charge des Apôtres. Ce Collège est stable. Parmi eux, il y a un traître, Judas. Il est alors remplacé par Matthias. Voilà la stabilité de ce Collège !

Le Seigneur Jésus ressuscité ne cesse pas de constituer ce Collège au long de l’histoire des hommes. C’est le Collège de Jésus, celui qui vient du Ressuscité et non pas de choix humains ni d’une stratégie. Ce Collège vient d’une Élection, d’un appel de Dieu, comme nous l’avons entendu dans l’Évangile.

Aujourd’hui, par la célébration sacramentelle de l’Ordination épiscopale, le Seigneur ressuscité appelle notre frère prêtre Jean. Il l’intègre dans ce « Collège ». Si c’est une Ordination sacramentelle, cela veut bien dire que c’est le Ressuscité lui-même qui agit, qui « est là présent[4] », dans le sacrement célébré par l’Église. C’est lui, comme il a appelé hier Pierre, André, Jacques et Jean, qui appelle aujourd’hui notre frère Jean et qui l’intègre dans ce Collège.

Aucun évêque n’existe avant le Collège. Le Collège des Apôtres se voit poursuivi dans l’histoire par le Collège des évêques.  Et dans ce Collège, que se passe-t-il ? Le Pape et les évêques sont unis entre eux comme des « frères », dans la même foi et dans la charité qui vient du Christ. L’Évangile le suggère avec l’insistance du mot « frère » : « Il vit deux frères, Simon, appelé Pierre, et son frère André. » Pourquoi l’évangéliste précise-t-il « André son frère » alors qu’on sait que ce sont « deux frères » ? De fait, il insiste sur quelque chose de tout à fait nouveau, une nouvelle fraternité, qui se manifeste au sein de ce Collège. Saint Jean-Paul II a rappelé que « cette union touche en profondeur l’être de tout évêque et elle appartient à la structure de l’Église telle qu’elle a été voulue par Jésus Christ[5] ».

Ordination de Mgr Bondu : Mgr d'Ornellas le coiffe de la mitre, surplombé par la mosaïque de Jésus et ses apôtres
Ordination de Mgr Bondu : Mgr d’Ornellas le coiffe de la mitre, surplombé par la mosaïque de Jésus et ses apôtres

Le service de l’unité

De cette unité, le Successeur de Pierre est le garant visible[6]. Mais l’unité vient du Christ. C’est lui notre unité et lui seul. Ainsi, la mission de l’évêque qui sourd de ce Collège épiscopal, qui vient de son appartenance à ce Collège par appel du Christ, est un service de l’unité et de la communion dans la foi, l’espérance et la charité.

Dès lors, nous comprenons que le Collège épiscopal, comme toute l’Église, est sans arrêt invité à la conversion, à la purification[7], à retrouver l’amour de Jésus[8] pour recevoir de lui sans cesse cette unité, car, tous, nous sommes de pauvres pécheurs. Et le péché que fait-il ? Il divise, il est source de divisions. Quelle tristesse que la division !

Dans la deuxième Lecture, on sent la tristesse de l’apôtre Paul parce que « les gens de Chloé » lui ont fait part des divisions. Heureusement que ces gens de Chloé ont informé Paul ! Cela lui permet d’écrire et de nous donner une clé, valable pour toujours pour l’Église. Qui a été crucifié ? Pas Paul, ni Apollos, ni Pierre. Aucun évêque n’a été crucifié, ni aucun prêtre. Le seul qui l’a été en vérité, c’est Jésus de Nazareth, « une fois pour toutes[9] ». C’est lui seul le « Sauveur du monde[10] ». Et les sacrements, ils n’ont pas été célébrés au nom de Paul, ni au nom de Pierre ou d’Apollos. Ils ne sont pas célébrés au nom d’un prêtre, ou d’un évêque. Ils sont célébrés pour le Baptême « au nom du Père et du Fils et du saint Esprit ». Tous les sacrements sont célébrés au nom du Christ Seigneur. Quand un sacrement est célébré, c’est le Christ qui « est là présent » et qui agit.

Le seul, l’unique, l’incomparable qui est à mettre sur un piédestal, c’est le Christ, notre Maître et Seigneur, notre cher sauveur. Tous, Apollos, Paul, Pierre et leurs successeurs ne sont que des « serviteurs[11] », invités à disparaître devant l’œuvre extraordinaire et unique du Christ.

Le pasteur et l’obéissance de l’amour

Toujours près du lac de Galilée[12], là où Jésus ressuscité apparaît, « après le repas » il interroge Pierre : « Pierre, m’aimes-tu plus que ceux-ci ? » La réponse jaillit : « Seigneur, Tu sais tout, Tu sais bien que je t’aime ! » Pierre, comme tout évêque, a connu des insuffisances et des faiblesses. Mais voilà que Jésus ressuscité veut faire sortir ce qu’il y a de plus profond dans le cœur de Pierre : « M’aimes-tu ? » La réponse est magnifique : Tu sais tout de mes faiblesses et de mes insuffisances, tu sais tout de l’appel que tu as prononcé sur moi, tu sais tout de qui je suis, mais tu sais aussi que je t’aime vraiment ! Alors le Christ donne mission à Pierre, devenu « pêcheur d’hommes » : « Sois le pasteur de mes brebis. »

Mgr Bondu, allongé en signe de don total, pendant la litanie des saints
Mgr Bondu, allongé en signe de don total, pendant la litanie des saints

Voilà l’évêque : pasteur grâce à l’amour et par amour. En effet, ce pasteur a quelque chose de tout à fait particulier : il sait que toutes les brebis sont celles de Jésus, qu’elles sont aimées par Jésus. Il sait que le Maître a donné sa vie pour chacune d’elles. Il sait bien que Jésus est leur unique sauveur. C’est ainsi que le pasteur vit dans l’obéissance de l’amour.

Quel que soit leur itinéraire, quelle que soit leur manière de se présenter, quelles que soient leurs épreuves subies ou accomplies, chacune des brebis est sauvée par Jésus. Comme Pascal le fait dire admirablement à Jésus : « J’ai versé telle goutte de sang pour toi. » Chaque être humain a la beauté d’être sauvé par Jésus, et le pasteur le sait ! Le pasteur connaît tellement cet amour du Christ pour chacune des brebis que, par obéissance de l’amour, il va vers elles. Il y va comme un « serviteur » pour donner le bon pain de la Parole, pour transmettre l’œuvre du Salut qui vient du Christ.  Comme saint Paul, il ne veut pas savoir « autre chose que Jésus Christ et Jésus Christ crucifié[13] ». Car là, sur la croix, se manifeste l’amour insondable du Père des Cieux pour tous les hommes. Ce Père « a tant aimé le monde qu’il lui a donné son Fils[14] ».

Voilà que le pasteur se sait envoyé au nom de l’unique « Bon Pasteur[15] » ! Le pasteur ne cesse pas de méditer sur cet adjectif « bon ». Il s’étonne toujours plus de cette bonté du Pasteur qu’est Jésus. Jamais on ne mesurera assez sa bonté pleine de tendresse.

En contemplant Jésus dans les Évangiles, on voit pourquoi il va vers les brebis. Pourquoi sort-il pour aller de synagogue en synagogue rencontrer les personnes ? Pourquoi est-il « sorti[16] » ? Pourquoi va-t-il jusqu’à l’extrême de son amour[17] ? Parce que pour lui aussi, le Bon Pasteur, il y a une connaissance particulière : il sait parfaitement l’amour de son Père pour les hommes, pour les brebis, l’amour du Père des Cieux pour chacun de ses enfants, pour chaque homme, chaque femme, chaque vieillard, chaque bébé, chaque être humain. Chacun est un enfant bien-aimé du Père ! Alors Jésus, dans l’obéissance de l’amour à son Père va vers les brebis. Et il y va en étant leur sauveur.

Voilà que l’évêque, pasteur, à la suite du « Bon Pasteur », va lui aussi dans l’obéissance de l’amour. Lui aussi, il se remet entre les mains du Père. Lors des obsèques de Benoît XVI, le pape François a médité sur le pasteur en citant le Pape émérite : « « Père, entre tes mains je remets mon esprit » est l’invitation et le programme de vie qui inspire et veut modeler le cœur du pasteur, jusqu’à ce que palpitent en lui les mêmes sentiments que ceux du Christ Jésus (cf. Ph 2,5). […] “Tu m’appartiens… Tu leur appartiens”, susurre le Seigneur ; “Tu es sous la protection de mes mains, sous la protection de mon cœur. Reste dans le creux de mes mains et donne-moi les tiennes.” »

Un portrait de Ste Thérèse de l'Enfant Jésus est offert à Mgr Bondu
Un portrait de Ste Thérèse de l’Enfant Jésus est offert à Mgr Bondu

Voilà le programme de l’évêque : l’amour ! Cet amour, sainte Thérèse de l’Enfant Jésus dont nous célébrons le 150ème anniversaire de la naissance, l’a compris. Cette jeune femme de 24 ans, juste avant de mourir, confie : « Je n’ai jamais fait que chercher la vérité. » Quelle a été sa découverte ? Écoutons-la : « La Charité me donna la clef de ma vocation. Je compris que si que l’Église avait un corps, composé de différents membres, le plus nécessaire, le plus noble de tous ne lui manquait pas, je compris que l’Église avait un cœur, et que ce Cœur était brûlant d’Amour. » Voilà la présence de Jésus en son Église ! Thérèse ajoute : « Je compris que l’Amour seul faisait agir les membres de l’Église, que si l’Amour venait à s’éteindre, les Apôtres n’annonceraient plus l’Évangile, les Martyrs refuseraient de verser leur sang[18]… »

Cette jeune fille de 24 ans nous enseigne, nous, évêques et pasteurs, sur la grandeur de l’amour du Christ ; elle nous met sans arrêt face à cet amour pour le monde. Cet amour du Christ existe parce qu’il y a l’amour du Père pour le monde. Ainsi le pasteur qui contemple cet amour du Christ, va vers les brebis, vers le monde parce que le monde est aimé, parce que les hommes et les femmes sont aimés, parce que le cœur de l’Église qui est le cœur du Christ est brûlant d’amour pour tout homme.

Ainsi l’Église vit-elle de ce double amour, l’amour pour le Christ qui a livré sa vie pour le monde et l’amour du pasteur pour le monde puisque le Christ l’aime. Comme le dit admirablement saint Jean de la Croix : « L’amour ne se paie que par l’amour. » Cet amour du Christ pour le monde se paie par l’amour des pasteurs pour lui et pour le monde. À l’amour du Christ pour le monde répond l’amour des pasteurs, et bien sûr de tous les fidèles, en particulier des consacrés qui en sont le « signe[19] ».

Si le pasteur agit dans l’obéissance de l’amour avec les sentiments du Christ, sentiments de tendresse et de miséricorde, alors il devient serviteur de la joie pour le monde. Car Dieu appelle les pasteurs afin que la joie se répande dans les cœurs, dans le monde. Le pasteur qui a la joie de savoir que tout homme est sauvé devient serviteur de la joie de tous.

Viens Esprit Saint

Demandons à l’Esprit Saint qu’il vienne sur l’Église pour que cette Église soit toujours le reflet de l’amour de Dieu et de sa tendresse. Demandons à l’Esprit Souverain qu’il descende sur notre frère Jean Bondu afin que son cœur soit toujours de plus en plus modelé à l’image du cœur du Bon Pasteur. Demandons à l’Esprit Saint qu’il vienne dans le cœur de tous les évêques afin que nous nous laissions purifier et sanctifier de telle manière que nous soyons habités par les sentiments du Christ. Que l’Esprit Saint vienne sur tous les consacrés afin que tous et toutes deviennent heureux d’imiter Jésus, le Consacré. Demandons à l’Esprit Saint qu’il vienne sur tous les couples et dans toutes les familles afin que chaque famille soit de plus en plus habitée par la paix et la douceur de l’amour. Demandons l’Esprit Saint qui est magnifiquement symbolisé dans notre cathédrale par la colombe qui jaillit de l’autel. Oui, demandons à l’Esprit Saint qu’il vienne sur notre diocèse afin que chaque communauté et chaque équipe de mouvements soit de plus en plus habitée par la charité que saint Paul chante magnifiquement dans son hymne à la charité.

Rendons grâce à Dieu pour le don de Jésus, Bon Pasteur. Rendons grâce à Dieu pour le don de l’Esprit Saint. Rendons grâce à Dieu qui nous donne aujourd’hui un nouveau pasteur pour son Église ! Amen.


 

[1] Cf. Matthieu 3,17.

[2] Cf. 1 Corinthiens 2,9.

[3] Cf. Matthieu 16,16.

[4] Concile Vatican II, constitution sur la sainte liturgie, n.7.

[5] Jean-Paul II, Exhortation Pastores gregis, 16 octobre 2003, n. 8.

[6] Cf. concile Vatican II, constitution sur l’Église, n. 23.

[7] Cf. concile Vatican II, constitution sur l’Église, n. 8 : « Tandis que le Christ saint, innocent, sans tache (Hébreux 7, 26) ignore le péché (2 Corinthiens 5,21), venant seulement expier les péchés du peuple (cf. Hébreux 2,17), l’Église, elle, enferme des pécheurs dans son propre sein, elle est donc à la fois sainte et toujours appelée à se purifier, poursuivant constamment son effort de pénitence et de renouvellement. »

[8] Cf. Apocalypse 2,4.

[9] Cf. Hébreux 9,12.

[10] Cf. Jean 4,42.

[11] Cf. 1 Corinthiens 4,1.

[12] Cf. Jean, 21,15-17.

[13] Cf. 1 Corinthiens 2,2.

[14] Cf. Jean 3,16.

[15] Cf. Jean 10,11.

[16] Cf. Marc 1,38.

[17] Cf. Jean 13,1.

[18] Manuscrits autobiographique, B, f°3v°.

[19] Cf. concile Vatican II, constitution sur l’Église, n. 42 et 44.

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