DE L'INTRODUCTION À LA VIE DÉVOTE PAR S. FRANÇOIS DE SALES


Dieu commanda en la création aux plantes de porter leurs fruits, chacune selon son genre : ainsi commande-t-il aux chrétiens, qui sont les plantes vivantes de son Église, qu'ils produisent des fruits de dévotion, un chacun selon sa qualité et vocation. La dévotion doit être différemment exercée par le gentilhomme, par l'artisan, par le valet, par le prince, par la veuve, par la fille, par la mariée ; et non seulement cela, mais il faut accommoder la pratique de la dévotion aux forces, aux affaires et aux devoirs de chaque particulier. Je vous prie, Philothée, serait-il à propos que l'Évêque voulût être solitaire comme les Chartreux ? Et si les mariés ne voulaient rien amasser non plus que les Capucins, si l'artisan était tout le jour à l'église comme le religieux, et le religieux toujours exposé à toutes sortes de rencontres pour le service du prochain comme l'Évêque, cette dévotion ne serait-elle pas ridicule, déréglée et insupportable ? Cette faute néanmoins arrive bien souvent.

Non, Philothée, la dévotion ne gâte rien quand elle est vraie, ainsi elle perfectionne tout, et lorsqu'elle se rend contraire à la légitime vocation de quelqu'un, elle est sans doute fausse. « L'abeille, dit Aristote, tire son miel des fleurs sans les intéresser », les laissant entières et fraîches comme elle les a trouvées ; mais la vraie dévotion fait encore mieux, car non seulement elle ne gâte nulle sorte de vocation ni d'affaires, mais au contraire elle les orne et embellit. Toutes sortes de pierreries jetées dedans le miel en deviennent plus éclatantes, chacune selon sa couleur et chacun devient plus agréable en sa vocation la conjoignant à la dévotion : le soin de la famille en est rendu paisible, l'amour du mari et de la femme plus sincère, le service du prince plus fidèle, et toutes sortes d'occupations plus suaves et amiables.

C'est une erreur ains une hérésie, de vouloir bannir la vie dévote de la compagnie des soldats, de la boutique des artisans, de la cour des princes, du ménage des gens mariés. Il est vrai, Philothée, que la dévotion purement contemplative, monastique et religieuse ne peut être exercée en ces vocations-là mais aussi, outre ces trois sortes de dévotion, il y en a plusieurs autres, propres à perfectionner ceux qui vivent ès états séculiers. Où que nous soyons, nous pouvons et devons aspirer à la vie parfaite.

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