Extrait de l’entretien du Cardinal Jean Marie Lustiger sur « La messe » 1985 (n°2)

La première bénédiction

« Après avoir vénéré l'autel, le prêtre qui préside fait face à l'assemblée pour lui dire : "Au nom du père et du Fils et du Saint Esprit". Ce signe de la croix est la profession de foi initiale dans le mystère de Dieu. Elle manifeste l'identité de l'assemblée unie par sa réponse : "Amen". Alors, le célébrant adresse aux fidèles une salutation. Ce n'est pas un banal bonjour. Dans l'Eglise rassemblée, se reconnaissent dans la foi par une parole de bénédiction le prêtre et les chrétiens. Parmi les formules proposées par la liturgie, j'en privilégierai deux : "Le Seigneur avec vous". C'est peut-être l'une des plus anciennes bénédictions. Elle est présente presque à chaque page de la Bible.

La langue liturgique dit Le SEIGNEUR, le latin Dominus, le grec Kurios et l'hébreu Adonaï pour respecter le Nom que Dieu révèle à Moise (Ex 3, 14): "Je suis qui je suis". "Le Seigneur avec vous" n'est pas un souhait. C'est une bénédiction qui reconnaît Dieu lui-même présent à son peuple. Car Dieu en nous révélant son "Nom", en nous livrant le secret de son intimité, fait sa demeure parmi les hommes. Jésus, au terme de son chemin en ce monde, dit à ses Apôtres : "Et moi, je suis avec vous jusqu'à la fin des temps" (Mt 28, 29). Le Fils éternel de Dieu fait homme, le Verbe fait chair, désormais habite ce temple saint qu'est l'Eglise, peuple nouveau rassemblé par l'Esprit. "

La paix avec vous". Salutation coutumière dans le peuple d'Israël. "J'écoute ce que dit Dieu, le SEIGNEUR; il dit 'Paix pour son peuple et pour ses fidèles' " (Ps 85, 9). Cette paix implique la plénitude de vie avec Dieu et la joie d'en vivre entre frères. Dieu, présent au milieu de son peuple, transfigure toute vie humaine. Le Messie, "Prince de la paix (Is 9, 5), "apparu pour guider nos pas sur la route de la paix" (Lc 1, 79) confie à ses Apôtres, le soir de la Cène : "Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Ce n'est pas à la manière du monde que je vous la nonne" (Jn 14, 27; cf. 16, 33). Et, Christ ressuscité, il leur apparaît avec ces mots : "La paix soit avec vous. Comme le père m'a envoyé, à mon tour je vous envoie. Recevez l'Esprit Saint" (Jn 20, 19-22, 26). C'est donc au nom du Christ que le célébrant salue l’assemblée : "La paix avec vous". "Avec vous", et non : "avec nous", comme tout prêtre serait tenté de le dire et tout fidèle de le penser.

Or, le célébrant n'est pas le porte-parole de l'assemblée. Non qu'il s'en exclue ou prenne ses distances ; mais, avec le courage de la mission reçue, il a le devoir de laisser le Christ parler, par sa bouche, à son Eglise. Au moment où je prononce pour vous cette salutation qui m'est aussi destinée, je la reçois dans le même acte de foi : le Christ au milieu de notre assemblée eucharistique nous rassemble par son Esprit pour rendre grâce au Père. La liturgie propose bien d'autres formules de salutation, souvent empruntées au début ou à la fin des épîtres de saint Paul. Très belles, elles déploient le même mystère trinitaire et le don de la paix. Ensuite, il appartient au prêtre d'introduire les chrétiens dans le sacrifice eucharistique qui tire sa nouveauté souvent de la fête célébrée (mystères de la vie du Christ, de la Vierge ; mémoire des saints etc), toujours de la Parole de Dieu proclamée tout spécialement dans l'Evangile du jour. Porté par la foi de l'Eglise, nourri de l'Ecriture, le célébrant invite l'assemblée à entrer au cœur du mystère révélé. Il lui appartient, en ce mot d'introduction, d'exprimer en ce jour, en cette messe, la pulsation de la prière de l'Eglise assemblée. »

La reconnaissance de notre péché

« L’assemblée entre dans la célébration eucharistique en demandant la grâce d'un "cœur contrit". Au moment où le Seigneur de sainteté nous rassemble pour nous communiquer la plénitude de sa vie, chacun est invité à reconnaître qu'il a péché et donc qu'il appartient à un peuple de pécheurs que le Christ sanctifie. Cette prière ne remplace pas le sacrement de Pénitence. Mais la grâce de l'Eucharistie nous purifie de notre éloignement de Dieu, tant que nos péchés n'ont pas provoqué une rupture mortelle. Le prêtre invite donc les fidèles à cet acte pénitentiel, à ce retournement du cœur, en disant par exemple : "Préparons-nous à la célébration de l'Eucharistie en reconnaissant que nous sommes pécheurs". Chacun, dans le secret, sous le regard de Dieu, demande cette grâce : "Seigneur, je te présente ma vie. Donne-moi d'être peiné de si peu t’aimer ; donne-moi de souffrir de ne pas assez vivre de toi. Fais-moi découvrir mon péché. Donne-moi un cœur contrit". Le silence de l'assemblée rassemble ainsi en une unique prière le secret de chacun. Puis, à l'invitation du célébrant, l'assemblée, dans une prière publique, confesse que nous avons péché. Voici l'une des plus anciennes formes : le "Je confesse à Dieu tout-puissant ... ", Confesser, c'est à la fois avouer et reconnaître ; faire la vérité dans sa vie. Je suis responsable de mes actes, mais devant autrui. Je confesse à qui ? A Dieu d’abord : "Contre toi et toi seul j'ai péché" redit le psaume (50, 6) en écho à la confession de David. L'amour de Dieu nous juge, car le péché, c'est le refus de l'amour de Dieu et donc le refus de Dieu, source de l'amour pour nos frères. "Et je reconnais devant mes frères - l'Eglise - que j'ai beaucoup péché : en pensée, en parole, par action et par omission". Toutes les zones de la liberté et de l'activité humaines sont prises dans cet aveu public. "Oui, j'ai vraiment péché", ajoutons-nous en nous frappant la poitrine.

Suit une supplication adressée d'abord à la Vierge Marie, la première des sauvés, en tête de l’Eglise ; puis aux anges, à tous les saints, splendeur invisible de Dieu ; enfin, à la totalité des frères, connus et inconnus : "Priez pour moi le Seigneur Notre Dieu". Alors, le prêtre conclut : "Que Dieu tout-puissant nous fasse miséricorde ... ". Il dit : nous, car il est parmi les pécheurs et cet acte de contrition est commun à tous. Au contraire, dans la formule du pardon sacramentel, le prêtre prie : "Que Dieu te montre sa miséricorde" et il absout le pénitent : "Je te pardonne tous tes péchés ... ", -


Vient ensuite une petite litanie :
"Seigneur, prends pitié... ". Je préfère : "Kyrie. Eleison".

Cette prière en langue grecque a été conservée non seulement dans l'Eglise d'Orient, mais aussi dans l'Eglise latine dès les origines. Elle est un témoin de la langue dans laquelle est rédigé le Nouveau Testament et qui a communiqué pour la première fois la Parole de Dieu aux nations païennes, la tradition liturgique, transmise de siècle en siècle, de nation en nation, atteste dans la diversité des cultures et des langues l'unité des chrétiens dans la prière et la communion avec le Christ.

Combien il est encore plus impressionnant de constater, au fil des traductions variées de l'Ancien et du Nouveau Testament, que des mots sont passés intacts de l’hébreu : "Amen" (Oui, c'est vrai), "Alléluia" (Louez Dieu), "Hosannah " (Dieu sauve) !

Ces termes anciens, enchâssés dans nos liturgies modernes comme des pierres précieuses, prouvent la continuité et la catholicité de l'Eglise à travers son histoire alors même que, dans leur manière de prier, les peuples ont introduit leurs usages, leur sensibilité, leur langue : l'Eglise fête ces temps-ci les apôtres des Slaves, Cyrille et Méthode, qui ont traduit la Bible en slavon, inventant même une écriture. "Seigneur, prends pitié". Prière tournée vers le Christ ou vers les trois Personnes divines, c'est toujours une supplication et un aveu de péché.

L’hymne du « Gloire à Dieu » et la prière de l’assemblée

« Après le rite de pénitence, aux grandes fêtes et les dimanches hors de l'Avent et du Carême, le célébrant entonne le "Gloire à Dieu". Cette hymne très ancienne est, à l'origine, une prière du matin conservée notamment dans les Constitutions apostoliques (fin du IVè S.). Peu à peu, elle a été introduite dans la liturgie eucharistique. Réservé à la messe de l'évêque, le "Gloria" était chanté à Noël, à cause des premiers mots "Gloria in excelsis Deo", acclamation des anges dans la nuit de Bethléem pour la naissance du Messie (cf. Lc 2, 14). Puis son usage s’est ensuite étendu à d’autres usages. Puis au XIè S., le "Gloire à Dieu" est chanté par l'assemblée entière comme aujourd'hui. Cette splendide louange doit être chantée d'un trait, sans être entrecoupée par un refrain qui ne respecte pas son style : c'est un poème, non un chant à refrain. Cette hymne est un vrai trésor pour nourrir la prière personnelle et communautaire, prière d'action de grâce, prière "eucharistique" à Dieu notre Créateur et notre Rédempteur. Un "Magnificat" de l'Eglise. "Nous te louons, nous te bénissons ... " : l'exultation et la jubilation jaillissent de notre cœur à nos lèvres quand nous contemplons l'immense gloire de Dieu, le "Père tout-puissant du Fils unique, Jésus-Christ". Dans son humanité, il reçoit tous les titres de la divinité : "Seigneur Dieu, Agneau de Dieu, lui notre Sauveur ». Cette confession de foi toute d'adoration se fait supplication confiante envers "Celui qui enlève le péché du monde, ... le Très-Haut, Jésus- Christ, avec le Saint Esprit, dans la gloire de Dieu le Père'. Sur cette gloire s'achève ce grand en de l'assemblée, débordant de joie, de lyrisme et ponctué par l'éclatant "Amen" final de sa foi. Alors sur l'invitation du célébrant : "Prions le Seigneur", toute l'assemblée s'immobilise et fait silence : chacun se tourne vers le prêtre qui dit la prière au nom de tous. C'est pourquoi le texte est rédigé à la première personne du pluriel : "Nous te prions." Selon la trame rigoureusement trinitaire de la prière chrétienne, cette oraison est adressée au Père des cieux, au nom du Christ avec qui nous prions "son Père et notre père" (cf. Jn 20, 17), par l'Esprit qui nous donne sa force. La première partie traduit en une phrase, sous forme d'action de grâce, un aspect du mystère de Dieu : « Dieu qui nous as sauvés, nous as révélé ton amour, qui as agi ainsi…" La seconde partie est une demande pour que les chrétiens vivent de ce dont ils rendent grâce.

La conclusion situe exactement notre prière dans la relation à Dieu notre Père, par le Fils dans l'Esprit. Mystère trinitaire que nous adorons en concluant par une expression hébraïque : "... maintenant et pour les siècles des siècles". La souveraineté divine à laquelle nous accédons par la prière dépasse toute durée humaine et nous plonge dans l'achèvement de l'histoire. L'assemblée répond « Amen", affirmant ainsi la véracité de Dieu et la vérité de l'adoration qu'elle lui porte avec la multitude des anges, la foule innombrable des élus qui glorifient Dieu: "Amen! Louange, gloire, ... honneur, puissance et force à notre Dieu pour les siècles des siècles. Amen!" (Ap 7, 12).

L'oraison qui clôt le rite d'entrée n'est donc pas une parole où doit apparaître l'originalité du célébrant. On comprend que la tradition ancienne l'ait invité à la chanter. Alors, il prend mieux la mesure de la mission qu'il remplit au service de l'assemblée. Le prêtre est dépossédé de lui-même pour devenir le porte-parole d'une prière qui habite le cœur de tous et en laquelle chacun doit pouvoir se reconnaître, quelle que soit sa sensibilité ou son humeur du moment. En écoutant l'oraison d'entrée, chantée" ou simplement parlée, que chacun puisse dire : "Par ces paroles que prononce qui le prêtre, c'est moi qui prie au nom de l'Eglise et c'est l'Eglise qui prie en mon nom ».

La symphonie de la Parole de Dieu

«Les dimanches et fêtes, la célébration eucharistique comporte:

a) d'abord l'écoute de trois lectures :

1. lecture de l'A.T. suivie par un psaume,

2. lecture des écrits apostoliques (lettres des Apôtres ou de Paul, Apocalypse, Actes des Apôtres),

3. proclamation de l'Evangile;

b) puis trois interventions qui constituent la réponse de l'Eglise aux lectures :

1. homélie, actualisation de la parole de Jésus qui revient au ministre ordonné, tout comme la proclamation liturgique de l'Evangile,

2. profession de foi baptismale de l'assemblée,

3. prière des fidèles pour toute l'Eglise. Le rapport entre les trois lectures met en évidence la structure même de la Révélation.

La Parole de Dieu résonne comme une symphonie spirituelle où chaque harmonique fait mieux percevoir la beauté et la signification de la totalité.

Commençons par l'Evangile. Le Christ lui-même, Parole de Dieu faite chair, parle à son Eglise. L'assemblée se lève non seulement par respect, mais pour signifier la venue de Jésus ressuscité au milieu de ses frères qu'il ressuscite. Debout, nous saluons par l'Alléluia l'entrée du Christ. Le ministre ordonné (prêtre, diacre) manifeste. Ainsi que dans cette Parole évangélique le Christ vivant nous parle. D'où l'acclamation, finale : "Louange à toi, Seigneur Jésus". Mais la' "mélodie" de l'Evangile ne s'entend bien que dans la symphonie de la Parole de Dieu jouée dans toute la Bible. En effet, comme l'a dit Grégoire de Nazianze, il y a une révélation progressive: "L'Ancien Testament a clairement manifesté le Père, obscurément le Fils. Le Nouveau Testament a révélé le Fils et insinué la divinité de l'Esprit. Aujourd'hui l'Esprit vit parmi nous et il se fait plus clairement connaître".

L'Ancien Testament. Il existe un lien historique, prophétique, sacramentel entre la révélation de Dieu donnée à Moïse, aux prophètes... et le Fils, Verbe de Dieu fait chair. L'Eglise ne cesse d'en rendre grâce en chantant dans le Magnificat avec la Vierge Marie: "Il relève Israël son serviteur. Il se souvient de son amour, de la promesse faite à nos pères en faveur d'Abraham et de sa race à jamais" (Lc 1, 54-55). La voix du Père se fait entendre lors de la Transfiguration : "Celui-ci est mon Fils bien-aimé; écoutez-le" (Mt 17, 5). Oui, Jésus révèle le Père: "Qui m'a vu a vu le père" (Jn 14, 9). Pour écouter Jésus parlant dans l'Evangile, il nous faut avoir reçu la parole du Père et l'entendre. C'est pourquoi la lecture de la Bible ne sert pas d'illustration à l'Evangile, mais nous fait entrer dans l'histoire du salut, dans le mystère du Père, du Fils et de l'Esprit.

Les écrits apostoliques. Entre l'Ancien Testament et l'Evangile cette parole spécifique et originale nous propose le témoignage de l'Esprit Saint agissant dans la génération apostolique. L'Esprit parle par les Apôtres qui témoignent du Christ. Grâce à leur parole nous reconnaissons le don qui nous est fait par le Père: l'Esprit qui nous habite. Le psaume fait le lien entre ces trois lectures: parole révélée par le Père dans l'Ancien Testament, écho de l'Esprit dans les écrits apostoliques, Evangile de Jésus-Christ.

Les psaumes, je l'ai dit à plusieurs reprises (par exemple le mercredi 19 septembre, cf. PND du 12 octobre: "Dieu nous apprend à parler") sont le trésor ciselé au fil des siècles par la prière du peuple d'Israël, de Jésus lui-même, des Apôtres, puis de l'Eglise jusqu'à l'achèvement des temps. "Résumé de toute l'Ecriture", les psaumes sont la meilleure initiation spirituelle à l'Ancien et au Nouveau Testament. Qui apprendra à prier avec eux, en se promenant ensuite dans toute la Bible, sera surpris de "comprendre" Dieu qui parle (ce qu'expérimentent les moines et moniales familiers du psautier). Car les psaumes nous accordent au chant de Dieu en nos cœurs.

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