Jésus n’est pas Lazare. Chronique du Jour de Pâques 2020


Lorsque Lazare fut sorti du tombeau, il reprit ses habitudes. Il rentra à la maison, à Béthanie où il habitait avec ses sœurs. Il ne s’est pas caché. Il a reçu de très nombreuses visites. Tout le monde voulait le voir, lui serrer la main. En un mot, constater qu’il était bien vivant. Ils l’avaient vu mort sur son lit de mort. Ils l’avaient, peut-être eux-mêmes enveloppé du linceul et du suaire. Ils l’avaient accompagné au cimetière et ils avaient vu rouler la pierre. Maintenant, ils le retrouvaient bien vivant. Ils le retrouvaient comme il était avant, avec les mêmes gestes et le même sourire si sympathique. Pour ses amis et ses parents, il n’y avait pas de doute, Lazare était bel et bien revenu à la vie. Mais rien ne disait qu’il ne mourrait pas une nouvelle fois, un jour, plus tard, quand il serait devenu vieux.
Rien de tel avec Jésus.

Sans aucun doute on l’avait vu mort lui aussi. On l’avait descendu de la croix d’infamie. On l’avait déposé dans ce tombeau qu’un ami mettait à la disposition de la famille. Mais quand il fut revenu à la vie, on ne l’a plus revu. Il n’a pas attiré les foules comme Lazare. Il n’est pas rentré chez lui à Capharnaüm, dans la maison de Simon-Pierre. Il ne s’est pas prêté à des embrassades, des félicitations, des serrements de mains. On ne l’a plus vu se promener sur l’esplanade du Temple, ni dans les rues de Jérusalem. A peine se montra-t-il à quelques intimes. Et ceux à qui il se montra n’en crurent pas leurs yeux. Ils doutèrent que ce fût bien lui. Ils n’osèrent pas lui parler. Il est vrai qu’on se racontait que des femmes l’avait vu. Mais on n’en croyait pas un mot. On attendait des preuves. Chacun voulait voir de ses yeux, toucher de ses mains, constater sans intermédiaire que c’était bien lui.
A cette demande bien légitime, Jésus n’a répondu qu’une fois, et une fois pour toutes.
Alors ? Qu’en est-il ?

Il en est que Lazare et Jésus n’ont pas vécu la même chose.
Lazare, par une exceptionnelle grâce divine et à la stupeur générale, a retrouvé son âme que la mort lui avait ôtée. Son retour à la vie n’est pas une pâque, c’est un sursis. Il n’est pas passé. Il a simplement trépassé. Un simple retour et aller.
Jésus, quant à lui, est entré dans la gloire de la Résurrection. Il n’est pas revenu à sa vie antérieure. Il est définitivement passé de la mort à la gloire de Dieu. Il a rendu sa vie humaine à sa vraie vocation : partager la gloire de Dieu, car elle a été créé à l’image de Dieu. Le corps de Jésus ressuscité n’est pas un corps réanimé. Son corps est certes le même, dans la force de l’âge, encore marqué par les coups qu’il a reçus. C’est bien lui. « C’est moi » devra-t-il dire pour qu’on accepte de le reconnaître. Mais désormais il échappe à la perception des sens. Il est passé de ce monde à la gloire du Père.

Là est le mystère. Là est la réalité. Là est l’événement.
Autre un bois mort qui refleurit, autre une bûche devenue braise.
Désormais ne verront Jésus que ceux à qui il voudra bien se montrer.
Ce sera Marie-Madeleine, elle qui a un cœur qui voit ce que d’autres ne voient pas.
Ce seront les Douze, à qui est réservée la mission spécifique d’attester qu’il est vraiment ressuscité et entré dans la gloire du Père.
Ce sera plus tard saint Paul, par un choix tout spécial de la volonté divine.
Quant aux cinq cents frères qui l’ont vu. Ils n’en ont rien dit. Voir le Christ ressuscité ne relève pas de l’anecdote. Ça ne se raconte pas. D’ailleurs c’est in-racontable, indescriptible. C’est un acte de foi. « Ne sois plus incrédule, mais croyant » dit Jésus à Thomas, car ce que voit Thomas, ce n’est pas du tout ce qu’il pensait voir. Il en est si retourné qu’il ne peut que balbutier : « Mon Seigneur et mon Dieu ». C’est tout dire !
Quant à nous, « Nos yeux sont empêchés de le voir ».

En ce beau jour de Pâque 2020, Jésus qui n’est pas arrêté par le confinement, ni par les murs, ni par les portes closes, se manifeste à ses fidèles. Il se montre à tous ceux qui sont prêts à l’accueillir tel qu’il est, sans pouvoir le saisir, sans pouvoir en parler. « Noli me tangere ! »*
Il illumine la vie de ses fidèles, toute confinée qu’elle soit. Ils aimeraient se rassembler et pouvoir partager leur joie. Hélas ! Mais, dans leur chambrette calfeutrée, ils chantent à tue-tête : Alléluia ! Christ est ressuscité ! Il est vraiment ressuscité.
Frère Alain Quilici, dominicain
* C’est ce que dit le Ressuscité à Marie-Madeleine : Ne me touche pas.

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