Faut-il parler d’une augmentation des actes antichrétiens en Israël ?

 Marie-Armelle Beaulieu, 3 février 2023

Faut-il parler d’une augmentation des actes antichrétiens en Israël ?
Après l'acte de vandalisme sur une statue de Jésus perpétré le 2 février 2023, les ouvriers du couvent de la Flagellation, Via Dolorosa, font le ménage. ©Filippo Di Grazia/Custodie de Terre Sainte

Depuis le début de l'année 2023, on recense à Jérusalem 5 incidents qui ont visé la communauté chrétienne. Les chrétiens sont-ils délibérement visés ? L'éducation reçue dans les écoles israéliennes est-elle partielle ou partiale ? Jusqu'où l'Etat juif entend-il vivre de la Torah ? Des questions et des ébauches de réponses, tandis que l'absence de condamnation officielle interroge plus cruellement.


Avec cinq épisodes de violence [1] en cinq semaines touchant des lieux, sanctuaires ou membres de la communauté chrétienne et perpétrés par des juifs, les réseaux sociaux ont tôt fait de s’enflammer sur l’augmentation d’actes anti-chrétiens à Jérusalem.

En terme statistique, l’augmentation est non seulement indubitable, elle est aussi exponentielle. En 2021, on avait relevé 9 actes touchant des chrétiens ou la présence chrétienne, et 13 sur toute l’année 2022 [2]. Faut-il pour autant qualifier les faits de délibérément anti-chrétiens ?

 

Sans doute la communauté chrétienne se sent-elle particulièrement visée, d’autant qu’elle s’estime plus vulnérable car minoritaire en nombre [3]. Par ailleurs ses lieux saints sont ouverts à tous, fidèles, pèlerins et touristes sans restriction (ce qui n’est pas le cas des mosquées). La communauté est aussi réputée pour ne pas être violente. Dans sa réaction, elle fait corps malgré le nombre de ses rites et confessions [4]. Toutes les Eglises s’accordent à dénoncer de concert les méfaits qui les touchent.

Ces événements surviennent alors que les Territoires palestiniens, Israël et Jérusalem connaissent un regain de violence inédit depuis la deuxième intifada qui se solde, depuis le 1er janvier, par la mort de près de 40 Palestiniens et sept Israéliens.

 

Aïn Karem, 21 juin 2019, journée annuelle animée par les Franciscains de la Custodie pour permettre à des juifs israéliens découvrir le christianisme. ©Nadim Asfour/Custodie de Terre Sainte

 

A la mi-décembre déjà, l’Assemblée des Ordinaires catholiques de Terre Sainte (AOCTS) avait publié un communiqué déplorant « la détérioration progressive de la situation sociale et politique générale en Terre Sainte », les « déclarations faites par des membres qui font partie de la coalition gouvernementale très clivantes envers la communauté arabe ou non juive ». Elle enchainait en affirmant « de telles déclarations favorisent ceux dans ce pays qui veulent la division en créant de la méfiance et du ressentiment. Cela a jeté les bases de nouvelles violences. La violence dans le langage se transforme inévitablement, tôt ou tard, en violence physique aussi… »

La clé de l’éducation

Pour enrayer ce cycle, les chefs des Eglises insistaient sur l’importance de l’éducation. En Israël, les élèves n’ont pas de cours d’histoire qui leur permettraient de retracer les événements marquants sur les derniers siècles du pays où ils vivent aujourd’hui. Frère Alberto Pari, secrétaire de la Custodie de Terre Sainte explique : « Quelques heures de cours leur sont dispensées sur l’histoire du peuple juif. C’est à cette occasion qu’ils entendent parler du christianisme, par le prisme des croisades, de l’Inquisition, des pogroms et de la Shoah. »

Frère Olivier du monastère bénédictin d’Abou Gosh en Israël, précise : « Ils savent tous que Jésus est juif et que le christianisme est au départ une secte juive dont ils disent « qu’elle a mal tourné », ils ignorent en revanche que celui qu’ils appellent Peter, le « premier pape au Vatican », s’appelait en réalité Shimon et était un juif observant, pêcheur sur le lac de Galilée. »

Ce qu’ils ignorent aussi, explique frère Alberto « c’est que – s’agissant des catholiques depuis Vatican II – les juifs ne sont plus qualifiés de déicides, ne sont plus condamnés aux flammes des enfers, ne sont plus maudits. » Pour les deux religieux chrétiens, rompus à l’accueil en hébreu, de nombreux visiteurs juifs israéliens, le christianisme est le plus souvent méconnu et demeure dans tous les cas la cause d’une blessure béante.

Israël ne calcule plus les Eglises

Dans leur rapport avec les autorités israéliennes, Mgr Pizzaballa patriarche des Latins, estimait, lors d’une conférence donnée au Rossing Center pour l’éducation et le dialogue le 26 janvier dernier que la communauté chrétienne avait disparu des radars. « Jérusalem, c’est un équilibre entre différentes communautés religieuses, entre juifs, chrétiens et musulmans. Or cet équilibre entre les différentes communautés n’existe plus et la règle est devenue : qui a le pouvoir décide seul. »

Celui qui a le pouvoir de facto c’est Israël. Mais, déplore encore le patriarche, en Israël « les Églises chrétiennes n’ont pas de statut juridique clair ». Il ajoutait qu’en cas de souci ou questionnement,« nous n’avons pas de canal de communication, nous n’avons pas d’adresse, nous ne savons pas avec qui nous pouvons parler. Nous constatons en permanence sur le terrain une politique de faits accomplis et nous ne sommes pas du tout consultés. » Et de citer en exemple la création d’un Parc National sur le Mont des Oliviers où l’on dénombre près de 30 propriétés chrétiennes.

Le patriarche des Latins, Pierbattista Pizzaballa, s’adressant à des Israéliens le 26 janvier 2023, au Rossing Center pour l’éducation et le dialogue, sur le thème des défis pour les chrétiens à vivre dans l’Israël d’aujourd’hui. ©MAB/Terre Sainte Magazine

D’après Daniel Seidemann, avocat spécialisé dans les litiges territoriaux à Jérusalem-Est, ce projet « s’inscrit dans un programme clairement imaginé et mis en œuvre, ces dernières années, par des associations de colons juifs religieux, visant à ceinturer la Vieille ville de Jérusalem en y imposant une présence et une histoire exclusivement juives, au détriment de la présence et de l’héritage chrétien et musulman. »

Mgr Pizzaballa demeure persuadé que « la plupart des Israéliens sont contre [ces attaques] mais il est aussi très clair qu’il y a une partie de la société israélienne qui ne voit aucun problème dans la perpétration de tels actes », tandis que le sentiment d’impunité des assaillants se trouve conforté par l’absence de conséquences judiciaires et de paroles de condamnation à part les quelques acteurs israéliens du dialogue – toujours les mêmes – qui viennent présenter leurs excuses.

Pris une à une, les cinq dernières attaques ont des motivations distinctes, de la bêtise d’adolescents, à la radicalisation des consciences par des maîtres fanatiques, du seul désir de nuire à des non-juifs à la préservation de la sainteté juive de la terre.

Mais du point de vue de la communauté chrétienne, elles aboutissent aux mêmes effets : des actes anti-chrétiens. Et sa frustration grandit d’autant plus qu’elle n’ignore pas que des actes de même nature perpétrés dans le monde contre la communauté juive soulève – à raison et à chaque fois – des tollés, alors que quand cela les touche, le silence international se fait aussi assourdissant que celui des autorités israéliennes.

Vivre toute la lettre de la Torah ?

Le dernier épisode de ces attaques, bien qu’il ait été perpétré d’après la police, par un « touriste américain sur la santé mentale duquel elle s’interroge », est assez révélateur de ce qui se joue finalement. L’homme menotté a expliqué son geste par ces mots : « On ne peut pas avoir d’idoles à Jérusalem. C’est une question très sérieuse. On ne peut pas adorer des pierres ou de faux dieux à Jérusalem. »

Dans sa logique, il aurait fait la même chose contre une statue de Bouddha ou de Shiva. C’est l’existence même d’une statue – interdite dans la Torah [5]– qui est incompatible avec la sainteté juive de la ville. Ce n’est pas le judaïsme que nous connaissions car nous avons fréquenté pendant 2000 ans un judaïsme de diaspora, déconnecté du Temple et de la terre. Maintenant qu’il est de nouveau sur la terre de la promesse, qu’il a le pouvoir sans partage, la question est jusqu’à quel point le judaïsme et l’Etat juif vont-ils vouloir lire et vivre toute la lettre de la Torah ?

Il revient aux juifs qui vivent en Israël, et y développent un judaïsme singulier à l’époque moderne, de répondre à cette question. Et les avis divergent au sein de la société israélienne tandis que le radicalisme infuse.

La bonne nouvelle, c’est qu’il y a des versets dans la Torah qui posent les bases d’un vivre ensemble dans l’altérité. La suite de Lévitique 19, 4 qui commande « Ne vous tournez pas vers les idoles, ne vous faites pas des dieux en métal fondu », dit aussi « [23] Lorsque vous serez entrés dans ce pays […] [34] L’étranger qui réside avec vous sera parmi vous comme un israélite de souche, et tu l’aimeras comme toi-même, car vous-mêmes avez été étrangers au pays d’Égypte. Je suis le Seigneur votre Dieu. »
Tous les espoirs restent permis.

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[1] Liste des violences depuis le début de l’année 2023

  1. 1er janvier : cimetière anglican, une trentaine de tombes vandalisées
  2. 12 janvier : graffitis anti chrétiens sur les murs du quartier arménien (« Vengeance » ; « Mort aux chrétiens » ; « Mort aux Arabes et aux gentils » ; « Mort aux Arméniens »
  3. 26 janvier : attaque dans le quartier chrétien des clients du restaurant Taboon
  4. 28 janvier : deux attaques dans la même soirée de passant Arméniens dans leur quartier
  5. 2 février : attaque d’une statue dans la chapelle de la Condamnation au sanctuaire de la Flagellation en vieille ville de Jérusalem.

[2] D’après les listes mises à jour par le Jerusalem Inter-Church Center et les promoteurs de la campagne  Protecting Holy Land Christians.

[3] Les chrétiens ne représentent plus que 1,5% de la population totale de la Terre Sainte (Israël+Palestine).

[4] L’Eglise en Terre Sainte compte trois confessions – l’orthodoxie, le catholicisme et le protestantisme – et 13 rites officiellement reconnus – 5 orthodoxes : grec-orthodoxe, arménien apostolique, copte orthodoxe, syriaque orthodoxe, ethiopien orthodoxe; 6 catholiques: grec, arménien, syriaque, maronite, chaldéen et romain et 2 protestants: anglican et luthérien.

[5] Condamnation des statues dans la Torah Exode 20, 4 : « Tu ne feras aucune idole, aucune image de ce qui est là-haut dans les cieux, ou en bas sur la terre, ou dans les eaux par-dessous la terre. »

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