Parole de l’Évêque : « Sans voix ! »

 

Paru dans Église en Ille-et-Vilaine n°334 – Novembre 2021


« Sans voix ! » Voilà l’expression très suggestive de beaucoup d’entre nous quand nous avons découvert le résultat de l’enquête menée par la Commission de M. Jean-Marc Sauvée au sujet des abus sexuels dans l’Église. « Je suis resté sans voix », ai-je entendu aussi bien dans la bouche d’une personne engagée dans l’Enseignement catholique de notre diocèse que sur les lèvres d’une personne parlant au micro d’une grande radio nationale. Sidérés et silencieux devant les chiffres estimés par le rapport Sauvé.

Silence aussi et surtout devant la souffrance des personnes victimes. Entendre le récit des abus subis, écouter leur douleur s’exprimer dans les larmes, percevoir leur émotion immaîtrisable, tout cela laisse « sans voix » dans l’écoute et la compassion. Impossible de ne pas se laisser toucher au plus profond de soi par cette douleur. Demeurer dans l’écoute car elles seules peuvent témoigner de ce qu’elles ont vécu, de leur chemin de vie, de leur combat de foi, de leurs peurs, de leur courage… Les écouter, souffrir avec elles, les reconnaître comme victimes, telle est la seule attitude qui convient et qui permet l’accompagnement.

Les personnes victimes ont parlé de façons diverses. Du rejet de l’Église tout en demeurant croyantes en Dieu, au rejet total de toute foi ; de la volonté d’œuvrer pour une efficace prévention, à la foi en Dieu qui dit : « Pardonner 70 fois 7 fois », comme me l’a écrit une personne victime. Chacune des paroles est à recevoir ! Elles proviennent de témoins blessés au cœur de l’Église et de notre humanité. Ceux-ci sont des frères et des sœurs, des personnes.

Permettez-moi de citer cette personne victime que je viens d’évoquer : « « Pardonnez 77 fois 7 fois », dit le Christ qui invite aussi à devenir « miséricordieux comme le Père céleste » : « Aimez-vos ennemis, priez pour ceux qui vous persécutent. » J’essaie et j’espère : « Dieu essuiera toute larme de leurs yeux ». […] Il nous faut pardonner ! Mais on ne peut pas oublier. Dieu reste infiniment plus grand que notre cœur. […] Merci aux prêtres qui m’ont aidé à me réconcilier pour nous reconstruire. »

Ces témoins sont des enfants innocents blessés par des personnes consacrées porteuses de l’Évangile. Quel scandale ! De multiples considérations sont proférées ici ou là, spontanées ou réfléchies, à partir du point de vue des uns et des autres. Beaucoup d’émotions s’expriment, on le comprend.

Pour le disciple de Jésus, y a-t-il un autre point de vue que celui de la croix qui a porté l’Innocent crucifié ? N’est-ce pas en se tenant en silence au pied de la croix que nous pouvons regarder ce drame ? La phrase prononcée par Jésus « Mon âme est triste à en mourir » s’est subitement chargée d’une signification abyssale, pour moi.

Sur la croix, Jésus dit : « Voici ta mère. » Il désigne Marie, douloureuse et debout au pied de la croix. Cette parole est un appel pour tous les temps, particulièrement pour nous tous en ce moment douloureux. Le Seigneur nous appelle à travailler dans l’humilité pour faire de l’Église, notre Mère, une « maison sûre », selon l’expression du pape François. Le Seigneur nous appelle à faire de son Église, composée de « pauvres pécheurs », une Église toujours plus transparente à sa Présence, à son amour, une Église fraternelle remplie de respect les uns pour les autres, une Église humble et pleine d’amour pour le monde, pour les plus petits.

Tel est l’enjeu de la démarche synodale voulue par le pape François. Par la vie synodale, naîtra de plus en plus une Église de l’écoute, les uns envers les autres, de la Parole de Dieu, attentive à la voix de l’Esprit Saint. Ainsi seront discernées les tentations d’abus de pouvoir qui trahissent la mission de l’Église : témoigner de l’amour de Dieu.

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