L’Eucharistie
Extrait de l’entretien du Cardinal Jean Marie Lustiger sur « La messe » 1985
La Messe I : Convocation de tous les baptisés
Chaque dimanche, les chrétiens célèbrent le jour de Pâques par l'Eucharistie. Quelques réflexions pour mieux vivre cette fête qu'est la messe.
Venir prendre part à ce rassemblement est une démarche de foi qui sort chacun de son isolement pour l'unir en un peuple dont le Christ fait l'unité. Alors, gardons-nous de traiter les églises, nombreuses à Paris, comme des consommateurs le font pour les "self-service" ou les "supérettes" qui présentent des articles au goût de chacun pour la plus grande commodité de leur "pratique" (ce qui signifie "clientèle » ; consultez votre dictionnaire !). Nous n'allons pas à la messe parce que nous en avons envie, ni pour satisfaire notre sensibilité. Mais parce que le Christ nous convoque, l'Esprit nous rassemble, Dieu nous le commande. Pour y recevoir notre dignité de membres du peuple de Dieu et la force de vivre du Christ.
Pouvoir être ainsi rassemblés par l'Esprit est une grâce de Dieu qui réunit ses enfants dans leur diversité pour en faire son peuple, le corps du Christ. La communauté paroissiale montre le caractère spécifique de ce rassemblement dominical car y sont accueillis pour un acte de l'Eglise des hommes et des femmes qui ne se sont pas choisis mais que Dieu a choisis.
A la différence d'une communauté monastique qui célèbre la messe avec ses seuls membres, le propre d'une paroisse est de garder toutes portes ouvertes. Ainsi est signifié que la messe est un acte de l'Eglise auquel tous les fidèles sont convoqués. Tous y ont droit, tous y ont les mêmes droits, quelles que soient les différences au point de vue de la société. Car tous se retrouvent devant notre Seigneur et Maître qui s'est fait le serviteur de tous. Souvenez-vous de la parabole des invités au festin des noces du Fils du Roi (Cf Mt 22, 1 sq). Mais, pour participer à cette assemblée, il faut avoir revêtu "l'habit de noces".
Car la messe est l'assemblée des baptisés. L'Eucharistie n'est pas d'abord destinée à annoncer l'Evangile à ceux qui l'ignorent. Elle est d'abord le sacrement des baptisés et confirmés, de ceux qui sont entrés dans le mystère du Christ par les sacrements de l'initiation chrétienne, de la nouvelle naissance. Jadis, les catéchumènes, pourtant déjà inscrits sur la liste du baptême, n'assistaient qu'au début de la célébration de l’Eucharistie ; à l'offertoire, ils quittaient l'assemblée humblement, comme les grands pénitents.
L'Eucharistie est destinée à ceux qui, baptisés, ont été identifiés au Christ mort et ressuscité, à ceux qui, dès lors, entrent pleinement en communion avec ce mystère de miséricorde et de grâce, le Christ qui se donne à ses frères pour les unir à son sacrifice.
L'Eglise ne peut pas demander : êtes-vous riches ou pauvres ? quelle langue parlez-vous ? quels sont vos goûts ? Qui préférez-vous ? Une seule question : êtes-vous du Christ ?
Oui, alors vous avez droit à recevoir le Corps du Christ et à recevoir ce voisin, que vous ignorez, comme le don que Dieu vous fait d'un frère que vous n'attendiez pas. La joie de cette fraternité constitue aussi l'assemblée chrétienne comme telle. Et elle nous montre ce qu'est l'Eglise, corps du Christ.
Enfin, l'assemblée eucharistique ne se structure que par la présence de celui qui participe à la charge des Apôtres.
La nécessaire présence de ce ministre ordonné - évêque, prêtre – permet au peuple de Dieu ainsi rassemblé de reconnaître que le Christ lui-même agit dans ce sacrement.
Par le ministère de nos frères ordonnés et leur fidélité, l'Eglise ne cesse de se reconnaître et de se recevoir comme corps du Christ, en chaque célébration de l'Eucharistie.
La Messe II : Référence à ce que Jésus accomplit
La célébration eucharistique, en effet, est un "acte codifié" par sa référence à Jésus. Elle rend présent ce que Jésus lui-même a accompli une fois pour toutes et qu'Il ne cesse d'accomplir pour les hommes et les femmes de tous les temps. Nous ne sommes ni plus ni moins éloignés de Jésus aujourd'hui que l'Eglise de Rome ou de Lutèce en ses débuts. Ce n’est pas le temps écoulé qui mesure la distance des chrétiens au Christ.
Par l'Eglise, Jésus donne ce qu'il a donné aux Douze. "Ce que j'ai moi-même reçu, écrit Paul (1 Co 11, 23), je vous l’ai transmis. Le Seigneur Jésus, la nuit où il fut livré, prit du pain ... ". Les gestes et les mots de notre célébration le signifient.
La référence à Jésus ne se comprend qu'en référence à Marie, sa Mère, qui lui a appris à prier, lui enseignant les "chemins de Dieu" et les "trésors du Ciel" dont lui, le Fils de Dieu et le Fils de Marie, est la "plénitude" (Coll, 19; Ep 1, 23) "l'héritier » (Mt 21, 38, He 1, 2; Ga 4, 1-7) et le "témoin" (Ap 1, 5).
Nous célébrons en faisant à notre tour ce que Jésus a fait. Lui même prie et accomplit les rites selon la manière de prier du peuple d'Israël, manière qui devient en Jésus notre propre manière de prier. Ainsi, le "Notre Père". Jésus, de façon personnelle et unique, reprend la prière rituelle des 17 bénédictions, apprise dans son enfance. De même, lors de la Cène, Jésus agit selon le rituel du repas du sabbat ou de la Pâque.
Notre célébration eucharistique réunit en un seul rassemblement tout à fait original deux formes de célébrations distinctes auxquelles Jésus a pris part.
La première, c'est la liturgie de la synagogue.
Le sabbat notamment, elle rassemble chaque communauté juive. Elle comprend des lectures de la Parole de Dieu selon un cycle déterminé, des chants de psaume, des prières de supplication et de bénédiction.
Le modèle de notre liturgie de la Parole nous est rapporté par l'évangéliste Luc (4, 16-22). Dans la synagogue de Nazareth on donne à Jésus le rouleau du prophète Isaïe et il lit (61, 1-2): "L'Esprit de Dieu Il m'a envoyé proclamer la Bonne Nouvelle aux pauvres ... " Puis il dit: "Aujourd'hui, cette Ecriture accomplie pour vous qui l'entendez". Jésus prononce la Parole et en annonce l'accomplissement.
L'autre forme de célébration : le repas du sabbat, ou mieux encore, plus solennel, le repas pascal.
« Où veux-tu que nous allions préparer la Pâque ?" demandent les apôtres à Jésus. Jésus a suivi le rituel vénérable et immuable de la délivrance du peuple en Egypte, du mémorial de la Pâque (Ex 12). Rituel plus que millénaire, chargé d'émotion d'histoire. Les modifications qu'y apportent le Christ sont d'autant plus significatives, voire surprenantes. Vrai repas avec l'agneau pascal sacrifié au Temple. D'abord, la bénédiction sur le pain non levé, de la forme des hosties de nos grandes célébrations. Pain brisé et partagé par le père de famille qui prononce sur lui : "Ceci, le pain de misère que nos pères ont mangé en Egypte". Jésus dira : "Ceci est mon Corps livré, pour vous". Puis, acclamations, prières, actions de grâce. Enfin, la bénédiction sur la dernière coupe qui évoque les sacrifices au Temple. Jésus dira : "Ceci est mon Sang de l'Alliance répandu pour la multitude en rémission des péchés" (Mt 26, 28).
Le propre de la liturgie chrétienne, c'est à dire venue du Christ, est d'avoir rassemblé en un seul et même acte eucharistique, acte d'action de grâce, l'écoute de la Parole (liturgie synagogale) et le festin rituel de la Pâque. Ils ne font qu'un : c'est Jésus qui nous donne la Parole de Dieu et il est lui-même la Parole faite chair. C'est Jésus qui, nous parlant de l'Evangile, dit par la bouche du célébrant : "Ceci est mon Corps ; ceci est mon Sang".
Il y a unité spirituelle et sacramentelle. Dans Ia messe, la liturgie de la Parole est liturgie eucharistique et la liturgie eucharistique est liturgie de la Parole.
La Messe III : L’Assemblée, Temple de Dieu
Le chant d'entrée permet à cette assemblée de prendre corps. Prière de louange, de pénitence, de supplication de l'assemblée, le chant est un acte communautaire auquel chacun s'associe, entrant dans une parole adressée à Dieu, ensemble, avec d'autres. Par cet acte spirituel commun se crée entre des hommes et des femmes jusque là dispersés une communion d'adoration et de prière. Dans la tradition de l'Eglise d'Occident, ce chant est normalement un de ces 150 psaumes qui nous donnent "les mots pour dire Dieu". Sus "par cœur", ils deviennent notre propre parole, une langue maternelle pour parler à Dieu. Il nous faut apprendre cette langue de Dieu sinon nous risquons d'être aphasiques. Au milieu de l'assemblée ainsi réunie entre le célébrant. Plus qu'un acte cérémonial ou pompeux, c'est le rappel de l'entrée du Christ Messie dans le Temple (cf. Lc 2, 22, 50; 19,47; 21,37; 22t5'3et Za 6, 12 sq), Alors l'assemblée des fidèles prend conscience qu'elle devient le Temple saint, habité par l'Esprit, temple véritable fait de pierres vivantes où le Christ va se rendre présent en associant à sa Parole et à son sacrifice de louange son peuple ainsi rassemblé. L'apôtre Pierre écrit à ce sujet (1 P 2, 4-5): "C'est en vous approchant de lui, pierre vivante, rejetée par les hommes, mais choisie et précieuse devant Dieu, que vous aussi, comme des pierres vivantes, vous êtes édifiés en maison spirituelle, pour constituer une sainte communauté sacerdotale, pour offrir des sacrifices spirituels agréables à Dieu par Jésus Christ". Avant toute parole, une fois entré dans l'assemblée, le célébrant monte à l'autel et l'embrasse. Ce baiser à l'autel tombeau des martyrs dans les premières communautés chrétiennes - signifie que tout est référé au Christ, lui l'autel, le prêtre et la victime (cf. He 9, 14), présent dans cette assemblée. Après ce geste de vénération, parfois accompagné d'encens, le célébrant, frère au milieu de ses frères, parlant au nom du Christ, salue l'assemblée d'une parole de bénédiction qui résume toute l'histoire du salut: "Le Seigneur avec vous". "La paix avec vous". Parole que l'assemblée fait sienne par sa réponse.»