L’impardonnable péché contre l’Esprit saint


Religieux dominicain du couvent de Bordeaux, le frère Jean-Thomas de Beauregard commente l’évangile du 10e dimanche du temps ordinaire. Se tromper ou être trompé, y compris en blasphémant Jésus, est pardonnable, mais pourquoi le blasphème contre l’Esprit saint ne l’est pas ?

Le discernement des esprits est un art difficile. Face à un phénomène spirituel spectaculaire, comment discerner si c’est l’œuvre du démon ou l’œuvre de Dieu ? Les scribes n’ont pas tort de s’interroger (Mc 3, 22)… Le discernement est d’autant plus difficile que Satan, créature spirituelle, est le “singe du bon Dieu”, qui imite les manières de faire de Dieu et des saints. Les vies de saints sont d’ailleurs remplies d’histoires où le Diable se fait passer pour un messager de Dieu, ou pour le père abbé lorsque l’histoire se passe dans un contexte religieux. On voit aussi bien souvent des supérieurs religieux ou conseillers spirituels prétendre gouverner directement par inspiration divine : “L’Esprit saint m’a dit que…”, “j’ai vraiment dans le cœur que tu dois…”, jusqu’au terrible et plus direct : “Tu ne te reçois pas assez de moi.” Là aussi, ils singent les manières de faire des saints, mais c’est bien le démon qui est à l’œuvre.

Ce penchant à vouloir être trompé par le démon 

Les âmes les mieux intentionnées s’y laissent avoir. Tant de fidèles de bonne foi se laissent fasciner par un homme charismatique dont l’attention à leur égard les valorise. Tant de baptisés inconsciemment soulagés d’être dispensés de prendre eux-mêmes les rênes de leur propre vie. Tant de pasteurs qui sans y prendre garde deviennent des apprentis sorciers de la vie spirituelle, se fiant uniquement à leurs intuitions personnelles dans l’accompagnement des personnes. Un terrain affectif et psychologique qui laisse transparaître quelque faille, une formation morale et doctrinale insuffisante, le démon s’engouffre dans la moindre brèche…

Ce qui trahit le démon, dans tous ces cas, c’est qu’il s’en tient le plus souvent à un mimétisme tout extérieur. Comme le démon n’a pas accès au sanctuaire intérieur des personnes et encore moins au sanctuaire ultime qu’est l’intimité de la Trinité, son imitation des mœurs des saints et des mœurs de Dieu reste extrinsèque. Un œil un peu exercé repère la supercherie : les gestes, la voix, tout ça n’est pas mal imité, mais ça sonne faux. De même, quand un pseudo-guide spirituel se donne des airs inspirés, il y a quelque chose de clinquant, ou d’emprunté, qui ne trompe et ne séduit que ceux qui veulent bien l’être. C’est bien là le hic, d’ailleurs : il y a une tentation en chacun d’entre nous, un penchant à vouloir être trompé par le démon. Et Jésus le précise, le démon n’entre dans la maison que si l’habitant a accepté de se laisser ligoter… C’est vrai des cas extraordinaires de possession diabolique, mais c’est vrai de tout péché, qui n’est jamais forcé.

Comment discerner les esprits ?

Comment discerner les esprits ? Bien sûr, il y a une part d’expérience acquise, à force de voir les masques tomber autour de nous. S’astreindre à se renseigner au moins un peu sur les mécanismes d’emprise, se documenter sur ce qui s’est passé dans tel lieu ecclésial où le démon s’est particulièrement déchaîné… C’est pénible mais nécessaire ! À condition de ne pas tomber dans une fascination morbide pour le scandale, ni dans la joie mauvaise de celui qui observe autour de lui en murmurant : “À qui le tour ?”, avec une prédilection pour la chute de ceux qui sont considérés comme des adversaires idéologiques au sein de l’Église ou en-dehors d’elle. Le discernement des esprits et la prudence peuvent facilement tourner au cynisme.

C’est le propre de l’Esprit saint que d’être insaisissable.

Le discernement des esprits implique donc de se former. Mais il suppose aussi et surtout une véritable vie de prière, enracinée dans l’Écriture et la sagesse de l’Église plutôt que dans une subjectivité mal ajustée. Cependant en dehors de cela, et même avec cela, il n’y a pas de recette infaillible. L’expérience acquise et une vie de prière objective et vraiment ecclésiale sont indispensables, c’est certain, mais peut-être pas suffisant. Ce serait mentir que de prétendre le contraire.

Le blasphème contre l’Esprit saint

D’ailleurs, Jésus ne condamne pas l’erreur des scribes qui le soupçonnaient d’opérer des miracles sous l’influence de Satan (Mc 3, 22). À bien des égards, même, il semble les excuser. Le blasphème contre Jésus est excusable, semble-t-il, parce que les apparences sont trompeuses. Tandis que le blasphème contre l’Esprit saint, lui, est impardonnable (Mc 3, 29). En voilà une énigme, que ce blasphème contre l’Esprit saint ! Bien malin le théologien qui peut le décrire avec précision et le qualifier avec certitude. Les indices sont peu nombreux. Et c’est le propre de l’Esprit saint que d’être insaisissable, comme le suggèrent les images bibliques qui le représentent : l’eau, le feu ou le vent. On ne sait ni d’où il vient, ni où il va, comment savoir que l’on blasphème contre lui ? Ne va-t-on pas alors blasphémer contre l’Esprit saint sans le vouloir, par erreur ? Mais si le blasphème contre l’Esprit saint procède d’une erreur de jugement, peut-il être imputé comme péché ? Et pire, comme péché impardonnable ?

Le discernement du blasphème contre l’Esprit saint dispose de quelques repères : l’Esprit saint ne peut parler contre le Christ ni son Église. L’Esprit saint ne peut parler contre la morale évangélique et la loi naturelle. Le blasphème contre l’Esprit saint a donc pour objet ce qui s’oppose au Christ ou à l’Église en son magistère authentique, ainsi que ce qui s’oppose à la morale évangélique et à la loi naturelle. Voilà déjà une boussole qui permet d’éviter bien des chemins de perdition. Le champ n’est-il pas malgré tout un peu large ? Et si c’est une erreur de jugement, ne pourrait-elle pas être pardonnée ?

Une longue suite de refus de Dieu

En réalité le blasphème contre l’Esprit saint est la dernière pierre d’un édifice déjà bâti par une longue suite de refus de Dieu, refus graves, conscients, délibérés. Nul ne blasphème contre l’Esprit saint par inadvertance, par négligence. Si le blasphème contre l’Esprit saint est condamnable et impardonnable, c’est que celui qui le commet a choisi, jour après jour, de s’aveugler, de sorte qu’un jour arrive où il devient incapable de reconnaître l’action de Dieu lorsqu’elle se présente avec évidence. Par le même processus de longue haleine, il s’est rendu incapable de discerner le bien du mal. À l’instant où il commet l’irréparable, ce peut être apparemment une erreur de jugement. Mais en vérité, c’est un acte éminemment personnel, qui vient du plus profond de son histoire spirituelle. Demandons donc à l’Esprit saint le don du discernement pour tous les baptisés. L’Église en a besoin plus que jamais. 

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