Solennité de la Toussaint
« L'Apocalypse vient de nous montrer l'ultime destin des fils d'Adam en une vision poétique, forte et splendide. (…) Ils sont debout devant le trône et devant l'Agneau. Ils sont vêtus de blanc : c'est-à-dire vêtus de la splendeur du Ressuscité, vivants (…) Voilà donc l'avenir de l'humanité. Non pas l'oubli pour les morts, non pas le remords pour les vivants, mais le rassemblement de tous dans la Vie de Dieu. Aucune vie n'est vouée à être perdue. Aucune vie n'est inutile dans le dessein de Dieu. Toute vie est portée par l'amour de Dieu. (…)
« Voici, regardez comme il est grand l'amour dont le Père nous a comblés ... » Vous êtes aimés, nous sommes aimés. « Il a voulu que nous soyons appelés enfants de Dieu » et l'apôtre saint Jean précise : « et nous le sommes ! Voilà pourquoi le monde ne peut pas nous connaître ». (…) En vérité, le monde dont nous parle saint Jean, c'est ce que découvre le regard de l'homme qui n'est pas illuminé par la puissance de l'amour de Dieu. C'est un monde qui ne sait pas l'amour, et, comme il ne sait pas l'amour, il ne voit pas la vie. Saint Jean, lui, nous dit le secret de la vie : « Bien-aimés, dès maintenant nous sommes enfants de Dieu. » Vous m’entendez : dès maintenant, vous l'êtes, nous le sommes. « Mais ce que nous serons ne paraît pas encore clairement. » Pourquoi ? Parce que l'homme, prisonnier de son péché, son égoïsme, sa volonté de possession du monde, sa volonté de puissance, est aveuglé et paralysé par la peur ; il ne voit pas le réel. Le monde ne peut pas voir ce que nous sommes et, encore moins, ce que nous serons. Saint Jean ajoute : « Nous le savons, lorsque le Fils de Dieu paraîtra, nous serons semblables à lui parce que nous le verrons tel qu'il est. » Alors, en le voyant, nous nous découvrirons nous-mêmes tels que nous sommes. Nous verrons le Fils de Dieu tel qu'il est, ce Jésus que les passants insultent sur sa croix, dont n'importe qui peut dire n'importe quoi en le mettant au défi : Jésus, tel qu'il est, lui qui porte notre mort pour nous arracher à notre esclavage, lui qui nous fait entrer dans la vie, lui qui prend nos péchés pour nous pardonner, lui qui, dans sa Passion, nous fait découvrir le mystère de l'amour et de la vie. « Et tout homme qui fonde sur lui une telle espérance se rend pur comme Lui-même est pur. » Alors, frères, voilà enfin le secret de notre espérance : ce sont les Béatitudes (…) que Jésus prononce en regardant ses disciples. Il nous regarde et il prononce sur nous les paroles de notre vocation, de notre destinée, car nous sommes appelés à devenir des saints. Oh non pas des figures idéalisées, des héros ! Non, les saints, ce sont des pécheurs que Dieu transfigure par sa miséricorde, ce sont de pauvres gens, comme vous et moi, habités par l'amour, transfigurés par l'amour qui vient de Dieu.
Mon pauvre amour, votre pauvre amour n'est rien à côté de l'amour que Dieu nous porte. A nous qui ne savons pas aimer, Dieu apprend à aimer en nous oubliant nous-mêmes. Devenus pauvres de cœur, nous recevons la bénédiction de ceux à qui Jésus annonce que le Règne de Dieu est à eux. Nous qu'habite la violence, voici que le Christ, doux et humble de cœur, nous apprend à devenir doux comme il est doux ; et il nous promet la Terre promise.
Nous qui pleurons parfois par égoïsme, un jour nous pleurerons avec le Christ qui pleure ceux qu'il aime ; et nous serons consolés. Découvrez donc quelle grande espérance est ouverte à votre vie. Votre vie est belle parce que c'est Dieu qui vous la donne. Même si vous êtes souffrant, isolé, malade, même si vous avez peur, même si vous en avez assez de vivre, vous accomplissez votre tâche d'homme et de femme en vivant pour Dieu. Chaque instant qui vous est donné est un instant dans lequel vous réalisez en cette chair et en ce temps la Béatitude que le Seigneur vous promet.
La vie de chacun est nécessaire à toute l'humanité. Le Christ, par la toute-puissance de l'amour, sauve et transfigure l'humanité en chemin. Ce que nous sommes ne paraît pas encore : nous sommes en train d'être enfantés à la splendeur de Dieu. Nous le verrons tel qu'il est : que cette espérance nous habite ». Cardinal Jean Marie Lustiger