Méditation des Jours Saints par le Cardinal Jean-Marie Lustiger - Jeudi Saint

Le mystère de la croix nous est déjà donné dans sa plénitude puisque le Christ offre et célèbre au Cénacle le sacrifice qu’il va accomplir le lendemain sur la Croix. Vraiment, c’est une bénédiction que l’institution de l’Eucharistie ait lieu avant la Passion. Le Seigneur nous instruit et donne d’abord à son Église, constituée par les Douze, la réalité sacramentelle de l’Amour, du pardon, de la Rédemption, le Sacrifice de l’Alliance nouvelle en son sang, avant de les entraîner, à sa suite, dans l’offrande de sa vie par le supplice de la croix. Comment réagirions-nous si nous étions face au Crucifié sans avoir d’abord reçu l’Eucharistie ? Probablement comme les passants qui, regardant la croix, sont pris dans les ténèbres (cf. Luc 23, 44), foudroyés par l’incompréhensible signe dressé entre ciel et terre.

L’attitude spirituelle du Jeudi Saint nous demande d’accepter la bénédiction que représente l’Eucharistie, dans la mémoire de la délivrance d’Israël. Dieu fait naître en nous la joie profonde de l’action de grâce. Demandez alors à Dieu, avec force, la grâce de le bénir dans l’Eucharistie et de recevoir le Corps livré et le Sang versé comme un don de paix, de bénédiction et de réconciliation.

En cette anticipation de l’épreuve qui doit venir, désirez que la Passion nous soit douce : d’abord, le Salut reçu ! Qu’elle nous soit communion et union au Christ, lui qui est « avec nous, tous les jours jusqu’à la fin des temps » (Mt 28, 20). Le mystère eucharistique nous est “transmis”, nous dit saint Paul, pour constituer l’Église tout au long de l’Histoire.

Le Christ nous donne son Corps et son Sang, vraie nourriture, vrai breuvage, Pain de Vie, gage de résurrection ultime.

L’Esprit saisit nos corps mortels, nous donne la Vie, nous transfigure, nous divinise.

Voici, au-delà de notre sensibilité et de ses obscurcissements, le signe et le gage de la Présence du Seigneur donnée à son Église et gardée dans son Église par son acte liturgique.

Rendez grâce ce jour-là, même si, pour quelque motif que ce soit, votre peine est grande ! Ne vous laissez pas accabler. Avec le Christ, rendez grâce. Épousez l’action de grâce de tout le peuple de Dieu. Laissez-vous porter par cette vague d’action de grâce, par les psaumes du Hallel (113 à 118) que le Christ chante cette nuit-là. Laissez cette action de grâce monter de plus loin que vous et vous porter au-delà de vous-mêmes. Car, à ce moment-là, vous accomplissez le mystère sacerdotal du peuple de Dieu.

Le Jeudi Saint, il vaut la peine de méditer la trahison de Judas. Ne pas prendre ce récit avec horreur, mais comprendre par la foi que cette trahison est le signe déchiffrable de la réalité du péché - infidélité, rupture, division - qui mène le Christ à la Croix. Et, pourtant, Judas n’est pas d’un autre bois que les Onze. Judas demeure pour nous un frère aimé et perdu que nous ne devons pas exécrer. Si Pierre pleure et reçoit la miséricorde, Judas désespère et se détruit. Mais c’est le secret de Dieu de savoir où l’a conduit son désespoir et jusqu’où l’amour du Rédempteur va le chercher. Le Christ l’a aimé et est mort pour lui aussi. Le Christ, descendu aux enfers, a parcouru tous les abîmes de la mort. Judas, brebis perdue, aurait-il le pouvoir de se dérober au Bon Pasteur qui veut le retrouver ? La trahison de Judas nous permet de mesurer la gravité de notre péché, d’éclairer le véritable enjeu de nos choix face à l’amour du Christ. A cet égard, le verset 23 "Et eux (les Douze) se mirent à se demander quel était donc parmi eux celui qui allait faire cela" est remarquable. Tous se jugent donc capables de trahir ! Ils sont moins sûrs d’eux-mêmes que nous.

La nuit du Jeudi Saint, priez la nuit !

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