Tribune “Les négligences envers Notre-Dame, symbole de nos propres négligences”

Pour le père Laurent Stalla-Bourdillon, les négligences qui semblent avoir provoqué l’incendie de Notre-Dame symbolisent la confiance inconsidérée des contemporains envers la technique.

Aumônier des parlementaires de 2012 à 2018, le père Laurent Stalla-Bourdillon est directeur du Service pour les professionnels de l’Information. Ce nouveau service répond au souhait de faire davantage se rencontrer le monde des médias et le monde de l’Église. Il organise des rencontres pour éclairer la place des croyances et des religions dans la société.

Il est certainement hasardeux d’interpréter un événement. Le risque de projeter une signification a priori sur l’incendie de la cathédrale Notre Dame est réel. Nous n’y échapperons sans doute pas. Cependant, un regard attentif permet de comprendre comment on vient à une telle catastrophe et ce dont elle devient le signe.

L’enquête sur l’incendie conclura sans doute à l’accident, au mieux elle évoquera une ou plusieurs négligences. Une négligence traduit une certaine indifférence, une insouciance ou l’oubli de ses devoirs. Il apparaît aujourd’hui - mais qui l’ignore ? - qu’une accumulation de négligences peut avoir d’épouvantables conséquences. Une négligence crée les conditions inattendues de survenue d’un possible désastre. Parler de négligence permet de minimiser : c’est négligeable. Or, le coût réel d’une négligence est imprévisible et toujours douloureux. Il n’y a pas de petits détails, chaque détail a son importance.

Le soin d’une vérification plus poussée et l’exigence de s’assurer qu’une alarme ne se déclenche pas sans raison, auraient-ils peut-être pu éviter le désastre de la cathédrale ? Ces négligences du 15 avril 2019 finiront dans les livres d’histoire et désormais notre génération restera celle de l’incendie de la toiture de la cathédrale. Elle n’a pas su assurer la protection de la forêt millénaire de Notre-Dame de Paris, alors que les générations passées ont su le faire. Pourquoi ? Essentiellement, parce que la détection technique des incendies au moyen d’alarmes s’est substituée à la vigilance humaine. Plus sensibles et moins faillibles que l’attention humaine, les systèmes de détection de fumée ont joué un très mauvais tour. Jusqu’où la technique nous dispense-t-elle vraiment d’une vigilance vitale ?

Une cathédrale n’est pas un lieu anodin. Elle porte un nom et renvoie à la personne qui porte ce nom : Notre-Dame. C’est une femme, Marie. C’est une mère, la mère de Jésus en qui est dévoilée la destinée ultime de toute personne. L’édifice de pierres est le signe de la confiance des baptisés en cette destinée. Cette confiance demeure bien vivante aujourd’hui, si bien que Notre-Dame de Paris parle jusque dans l’incendie qui retentit comme un appel à la vigilance.

L’usage des techniques produit une baisse de vigilance aussi dans le domaine de l’économie avec le trading haute fréquence et dans le domaine de la biologie reproductive ou réparatrice. Cette dernière induit une conception seulement matérialiste de l’être humain. Les effets indésirables sont tenus pour négligeables. La prééminence du corps est telle que la dimension intérieure de la personne, la vie de l’âme sont quasiment insignifiantes. C’est seulement un corps que l’on appelle à la vie, formé d’un ensemble de cellules. C’est un organisme vivant, ayant forme humaine mais d’un point de vue cellulaire, il ne se distingue pas de ce que nous voyons dans nos travaux sur les animaux. L’humanité s’est dissoute dans la loupe des microscopes. Avec Crisp-Cas9, nous sommes bien dans des travaux de rénovation mais de l’homme et de son édifice corporel. Il ne s’agit plus de considérer la destinée éternelle d’un enfant. Les mentalités sont gagnées à la réduction de l’humain à un organisme vivant et mortel, rentrant dans la catégorie des biens à disposition. Comment un enfant se reçoit-il s’il est possible de se le donner en s’affranchissant des conditions naturelles de sa naissance ? Comment le découvrir si son génome est connu et programmé ? Ces conditions participent-elles de la dignité de l’enfant ? Sont-elles le bien premier de l’enfant ou sont-elles tenues pour négligeable par la société ?

Plus notre univers va se techniciser, plus l’urgence de la pensée va se faire sentir. L’être humain ne tire ni son identité, ni sa dignité, des conditions de sa venue au monde. Sinon, demain, nous serons tous des numéros, issus des laboratoires. La fonction spirituelle sera d’autant plus importante qu’il faudra donner du sens à l’existence et percer le mur de notre conditionnement technique et matériel. Il n’y a pas de différence possible entre l’homme en sa condition corporelle mortelle et sa dignité d’enfant de Dieu ! Ce n’est pas parce que le corps humain est vulnérable et mortel, que la personne en ce corps n’a pas une immense dignité en vertu de sa vocation divine. C’est pour avoir renoncé à entendre la promesse qui repose sur nos vies mortelles que nous avons consenti à tenir pour négligeable le corps et accepter de produire et de travailler sur les corps. Une négligence dans l’effort de compréhension de ce qu’est une personne peut avoir des conséquences autrement pires qu’un incendie de toiture de cathédrale. La cathédrale est la gardienne de ce qui fonde la dignité de toute personne : sa transcendance et sa vocation sainte à la béatitude. Renoncer à la possibilité que la transcendance dans l’homme signifie une destinée éternelle, et c’est le corps humain qui s’effondre comme amas de cellules, amas de pierres sans signification.

N’est-ce pas prendre un risque inconsidéré de tenir pour négligeable les recherches sur l’embryon, de nous livrer au pouvoir des algorithmes ou encore d’ouvrir l’assistance médicale à la conception à des femmes seules, aux seuls motifs d’accroître les connaissances et les droits individuels ?

Le monde entier a été meurtri par l’incendie de Notre Dame, mais le monde a-t-il conscience que Notre Dame adresse un appel si clair au réveil des consciences, à la fin des négligences ? Jusqu’où ira-t-il dans l’oubli de ce que « l’homme passe l’homme » et qu’en oubliant ses racines célestes, l’humanité se condamne au chaos d’un brasier ? L’émotion mondiale signe clairement l’attente confuse mais réelle d’être aidé à préserver la beauté de l’humanité en proie aux mâchoires de nos techniques et aux flammes de nos négligences. Notre Dame : une femme nous y engage, une mère nous y exhorte. Et si l’avenir de l’humanité n’est pas moins que l’enjeu de cette soirée de pleine lune du 15 avril 2019 ?

Laurent Stalla-Bourdillon

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