Sur l'Eglise du Christ par le Cardinal Jean Marie Lustiger
Cardinal Jean Marie Lustiger |
En effet, nous
l'apercevons d'abord dans l'extériorité des Institutions, d'une institution. Et
dans la mesure où nous avons perdu la mémoire qu'elle est une grâce et où nous
n'avons plus l'expérience spirituelle de l'Eglise comme rassemblement par
grâce, nous sommes tentés de la juger comme toutes les institutions, résidus de
l'histoire, qui de toutes façons sont toujours en tension avec l'expérience et
la structure personnelles de l'existence. Et les peuples païens qui ont été
baptisés se sont approprié l'Eglise, mystère de grâce, pour en faire une de leurs
institutions : et, par conséquent, ils se donnent le droit de la détruire, de
la contester, de la martyriser.
Si les Apôtres ne sont que nos princes, nous pouvons
les tuer et changer de princes.
Si l'Eglise n'est construite que sur les lois
que le peuple se donne, nous avons le droit d'en changer. Mais alors, en nous croyant
propriétaires et donc maîtres de
l'Eglise, comme toujours en furent tentés tous les césars, nous avons oublié
que nous y avons été reçus par une grâce de Dieu.
Si nous nous croyons maîtres
de l'Eglise, elle nous échappe : « Elle va vous être laissée déserte votre
maison » (Mt. 23, 38). Elle peut nous être enlevée, littéralement : « Il
confiera la vigne à d'autres vignerons » (Marc 12, 10).
Ce mystère de la grâce, donné à ceux-là
seuls qui l'accueillent comme grâce, et échappant à ceux qui veulent s'en
emparer et en méconnaissent la gratuité amoureuse, est inscrit au cœur de l’Évangile. C'est tout le mystère d'Israël et du salut des nations : double
grâce, grâce redoublée, grâce pour
Israël, grâce pour les nations. Cette grâce, don de l'Esprit, résume et annonce
l'événement de l’Évangile. Elle permet à un peuple nouveau, transformé par
l'Esprit Saint qui inscrit la loi dans les cœurs, d'être rassemblé dans la
sainteté que Dieu veut lui donner : Dieu veut en ce peuple faire sa demeure.
Si nous ne saisissons plus l'Eglise comme
un événement de grâce qui nous transforme dès que nous nous en approchons,
notre propre transformation est elle-même menacée. Celui qui juge l'Eglise se
met sous le Jugement de Dieu. Celui qui ne volt plus l'événement de grâce se dérobe
à la grâce qui lui est faite, car Il oublie qu'il est d'abord pécheur pardonné,
fils aimé et adopté par la grâce du Père; que, perdu, Il est retrouvé par le
Berger véritable: étranger, Il est rendu hôte et familier dans la Maison
désormais sienne: que, sans patrie, il trouve enfin l'unique Demeure. Il oublie
la mission reçue, à la mesure de l'histoire et à la mesure du Christ. Car tout
membre de l'Eglise est choisi et appelé en vue d'une mission précise, dévoilement
du mystère de Dieu caché depuis le début des temps et révélé en nos jours.
Mission reçue, appel, grâce, jamais privilège ni droit, dans la mesure où notre
droit est l'amour gratuit que Dieu nous porte. Nous ne pouvons exercer cette
mission qu'en entrant dans la logique gratuite de cet amour. Nous ne pouvons donc
pas juger l'Eglise; c'est nous qui sommes jugés dans notre implication dans le
mystère de l'Eglise. Disant cela, je ne canonise pas les pécheurs que nous
sommes.
sinon,
ils souillent la source même des eaux vives qui devaient les purifier. Ils ne
peuvent aimer qu'en recevant l'amour, là où il jaillit. Et il n'y a pas d'autre
Eglise que celle-ci qui nous est donnée. Nous n'avons pas à en rêver une autre.
Notre Eglise, aujourd'hui, est une Eglise
qui nous paraît humiliée !
Nous
ne sommes pas fiers des chrétiens : de quel droit serions-nous fiers de nous-mêmes
? Nous sommes tentés, souvent, de dire que l'Eglise n'apparaît pas comme
prophétique : sommes-nous prophètes pour oser dire cela?
Nous
disons parfois que l'Eglise ne fait pas signe : qui fait signe pour Dieu?
Nous
disons que l'Eglise ne parle pas le langage de son temps : parlons-nous le
langage de Dieu et de l'Esprit ?
Que
l'Eglise ne serait pas fidèle : à quel esprit obéissons-nous ?
L’Eglise est ce que Dieu permet
qu'elle soit. Elle peut être en certaines périodes éprouvée en son être même, parce que ses
membres, trop faibles, trop impuissants,
trop limités à leurs propres yeux, jugent l'écart gigantesque entre le dessein
de Dieu dans sa splendeur donnée comme une espérance et une réalité, et la
misérable existence ecclésiale qui est la nôtre.
Mais n'est-ce pas la constante
condition des disciples du, Christ, sans cesse acculés à cette impossible obéissance
de la foi par le mystère même du Christ, Messie souffrant mais glorifié et
ressuscité? Obéissance de la foi qui appelle des hommes aveuglés à oser croire
à la lumière qui les devance.
L’Eglise est à la mesure de ce que Dieu
veut faire. Elle devient ce que Dieu veut qu'elle soit dans la mesure où nous
consentons dans la foi à dépasser nos faiblesses. Dieu peut permettre qu'une
poignée d'humbles et de pauvres et de misérables soit la semence rendant
présente la Parole dans le labour de l'histoire des hommes.
Cardinal Jean Marie Lustiger |
Qui peut, d'ailleurs, parler d'échecs ?
Tout dépend où nous mettons la mesure. Tout dépend où nous mettons le jugement.
Qui juge de l'échec ? Nous le saurons dans le jour de Dieu, quand seront
révélés les secrets actuellement cachés. Quelle vie peut se dire perdue, alors
que, peut-être, elle est enfouie avec le Christ pour porter beaucoup de fruits ?
Et la Vie est dans la grâce qui nous est faite. l'Eglise est cette force
littéralement invincible dans la mesure où elle s'en remet à la force de Dieu.
Parce que l'Eglise n'est rien d'autre que le Christ qui nous rassemble. Certes,
elle n'est pas le Christ et ne se substitue pas au Christ; mais elle n'existe
que dans l'acte du Christ qui la rassemble et, la recevant de son Père, la fait
naître par l'Esprit Saint.
Puissions-nous, dans ce temps de vie qui
nous est donné, comprendre qu'une mission tout aussi grandiose que celle qui a
été dévoilée aux premières générations, nous est aujourd'hui ouverte.
Puissions-nous comprendre que la Parole
du Christ nous dit notre présent et l'avenir de l'humanité. Puissions-nous
accueillir avec joie la grâce qui nous est faite d'être pris en ce Temple saint
où Dieu dévoile son amour.
Saint-Georges au Velabre, Rome le 04 février 1983
Homélie de M. le Cardinal Jean Marie Lustiger lors de son élévation au cardinalat.
Source : Institut Jean Marie Lustiger