« Allez, de toutes les nations faites des disciples ! » homélie de Mgr Brouwet lors des JMJ à Lourdes

« Allez, de toutes les nations faites des disciples ! »

On est d’accord avec ce principe de l’évangélisation. Ne serait-ce que parce que si personne ne l’avait entendu il y a 1800 ans, si personne n’était venu annoncer le Christ en Gaule, on serait encore païens, à cueillir du gui. Et on organiserait les JMJ dans la forêt des Carnutes. Moi je serais votre druide et je m’appellerais Panoramix.

Cela n’empêche qu’évangéliser n’est pas si simple. On est d’accord pour que d’autres évangélisent mais on n’est pas très à l’aise pour s’y mettre soi-même. Il y a plein de raisons de ne pas bouger, de ne pas oser.

On se demande si on a une légitimité à le faire
On se demande ce qu’il faut faire
Et on se demande si on va savoir s’y prendre.
Et la Parole de Dieu nous éclaire à ce sujet aujourd’hui.

L’évangélisation est un appel et non une mission qu’on se donne à soi-même.



a. Finale de Matthieu : « De toutes les nations faites des disciples. Apprenez-leur à garder les commandements que je vous ai donnés. »

b. Paul : Annoncer l’Evangile est une nécessité qui m’incombe ; c’est une charge qui m’est confiée ».

c. Cela est profondément libérateur. Nous sommes envoyés par le Seigneur pour communiquer le trésor que nous avons en nous, pour annoncer l’amour de Jésus pour tous les hommes.

d. Cette mission nous la recevons au baptême. C’est comme un feu intérieur qui ne demande qu’à s’étendre. C’est comme un trésor incroyable qu’on a envie de partager. C’est comme une joie qu’on a envoie de partager avec tous. Comme l’annonce d’une grossesse, d’une admission dans une grande école, d’un voyage qu’on va faire en famille, du mariage de son frère…Il faut que cela jaillisse, il faut que cela sorte ; on ne peut pas le garder pour nous. On veut que tous participent à notre joie.


Comment on va évangéliser ?

Je crois qu’il y a deux grands moyens : il y a l’annonce explicite et directe de Jésus ; c’est à dire confesser sa foi ; oser dire qu’on est chrétien et que cela donne un sens à notre existence.

Mais avant : il y a la cohérence de notre vie avec l’Evangile. C’est la question de l’unité de la vie personnelle autour du Christ. Au fond, avant d’être un apôtre, il faut être un disciple de Jésus. Surtout dans un monde où, paradoxalement, chacun peut faire ce qu’il veut, mais où on est aussi très attentif à la cohérence entre ce que quelqu’un professe et ce qu’il fait.

Et la cohérence, c’est vraiment le défi le plus grand.

Avec la tentation d’une vie double : avoir deux vies :

L’une spirituelle : le dimanche et aux réunions d’aumônerie ou de son groupe de prière ; et l’autre humaine : au travail, à la fac, à l’école, avec les amis avec d’autres règles, d’autre manières e faire, de réagir, de parler, de penser.

Le problème de l’évangélisation commence de cette manière : est-ce que j’ai évangélisé ma propre vie, toutes les zones de mon être, tous les domaines de mon existence : mes amitiés, mes relations de travail, mes vacances, mes soirées, les relations avec mes parents ?…

Tu ne peux être ardent dans l’évangélisation que si tu as pris au sérieux l’évangélisation de ta propre existence. De ton être intérieur.
Vous avez entendu le livre de Jérémie : « Je te donne aujourd’hui autorité sur les peuples et sur les royaumes, pour arracher et abattre, pour démolir et détruire, pour bâtir et planter ».


a) Arracher, abattre, démolir et détruire. Ce sont des mots forts.
- Oui, lorsqu’on annonce l’Evangile il faut commencer par arracher et détruire :

- On arrache l’orgueil qui est la racine de l’opposition intérieure à Dieu. C’est un travail qui n’est jamais fini parce qu’il est un combat contre notre ego qui prétend tout régenter, tout maîtriser, tout conduire. Et qui veut prendre la place de Dieu.

- On abat les murs de protection qu’on a érigés pour se protéger de Dieu, pour que Dieu n’entre pas entièrement en nous, pour qu’il soit reçu mais latéralement, pas au centre ; pour se réserver des zones personnelles : le travail professionnel, c’est mon affaire : Dieu n’y entre pas ; mes amours, c’est mon affaire : Dieu n’a rien à voir avec cela ; mes vacances ne concernent pas Dieu, ce n’est pas digne de lui. C’est en compartimentant notre vie qu’on vit une sorte de schizophrénie pratique, une double vie : il y a ce qui est sous le regard de Dieu et ce qui est sous notre regard exclusif.

- On démolit aussi. Qu’est-ce qu’on démolit ?  Les fausses images de Dieu : d’un Dieu qui punit ou d’un Dieu qui accuse ; ou bien d’un Dieu qui serait la projection de nos désirs ; d’un Dieu au service de nos attentes ; d’un Dieu à notre mesure qui ne serait rechercher que pour nous combler ou nous rassurer, ou nous protéger de nos craintes. Ou même arranger nos petites affaires. Bref d’un Dieu fait à notre image et à notre ressemblance. Un Dieu qui me satisfait et qui entre dans mes cases.

On détruit enfin ce qui, dans notre entourage, notre manière de vivre, nos habitudes, nos réflexes, nous empêchent d’être à Dieu. Il y a parfois des choses qu’il faut supprimer dans notre vie parce que nous voyons qu’elles nous empêchent d’être vraiment au Seigneur. Cela peut être des temps passés devant la télévision ou internet et qui empêchent une vraie vie de prière ; ou un trop plein d’activités qui nous mettent dans une pression permanente ; ou même des fréquentations qui nous éloignent du Seigneur…

b) Et si on arrache et qu’on abat, c’est pour pouvoir bâtir et planter ; c’est pour construire.
- On bâtit l’homme nouveau, l’homme intérieur. L’homme qui retrouve le sens de la louange, de l’action de grâce, du dialogue avec Dieu, de l’adoration. On bâtit sa demeure avec le Christ comme fondation, comme pierre angulaire. Pour pouvoir aimer à sa mesure, ou plutôt dans sa démesure d’amour comme je vous l’ai expliqué le premier jour.

- Et enfin on plante la semence de la Parole de Dieu comme dans une terre féconde. Comme nous avons besoin, jour après jour, de nous nourrir de la parole de Dieu. Il y a des appli très commodes pour recevoir l’évangile du jour et le  méditer. Evangelizo. Aelf. Carpe Deum

On devient un évangélisateur sérieux quand on se préoccupe de sa propre évangélisation, quand on s’ouvre soi-même à l’Evangile, quand on se laisse convertir et fasciner par le Christ.
Et si on fait cette humble et persévérante évangélisation de nous-mêmes, on n’ira pas évangéliser les autres comme des croisés en renversant tout sur notre passage. On comprendra les résistances à Dieu chez les autres. Et on arrivera modestement.

Pourtant, même quand on fait ce travail d’évangélisation sur nous-mêmes, on a des peurs. Peur d’évangéliser. Il y a même deux sortes de peurs :

1) Il y a les peurs qui viennent de nous-mêmes : serai-je à la hauteur ?

- Il y a nos propres incohérences avec l’Evangile
- Et puis la crainte de ne pas savoir répondre à tout
- La crainte aussi de ne pas être assez formé

On fait exactement comme Jérémie qui dit au Seigneur : « Je ne sais pas parler, je ne suis qu’un enfant » ; réponse du Seigneur : « Je mets dans ta bouche mes paroles. » Cela nous fait penser à cette parole de Jésus : « Quand on vous livrera, ne vous tourmentez pas pour savoir ce que vous direz ni comment vous le direz : ce que vous aurez à dire vous sera donné à cette heure-là. Car ce n'est pas vous qui parlerez, c'est l'Esprit de votre Père qui parlera en vous. » Mt 10, 19-20.

Et là, c’est la question de notre amitié avec l’Esprit Saint. Demandez-le dans toutes les situations, y compris les plus difficiles. Il vous sera donné en abondance pour pouvoir témoigner de votre foi et rester en présence du Seigneur.

2)  Puis il y a les peurs qu’on éprouve face aux autres :

a) Peur de quoi ?
1. Peur d’être tourné en dérision
2. Peur des attaques personnelles
3. Peur des procès fait aux croyants : fanatisme, intolérance
4. Peur de n’être pas un bon citoyen

b) Le Seigneur nous réponds comme à Jérémie : « Ne les crains pas car je suis avec toi pour te délivrer ».
Il veut nous délivrer de ces peurs que nous avons.

J’aimerais vous faire quelques remarques à ce propos :

- Quand vous parlez de la foi avec quelqu’un et que la conversation prend un tour orageux, c’est très souvent parce que vous n’avez pas encore trouvé la vraie question qui est posée par votre interlocuteur. Il parle du préservatif en général mais sa vraie question est sur ses relations avec son amie relation dans la quelle il n’arrive pas à être heureux malgré leur grande liberté sexuelle. Ou il va vous parler bioéthique mais sa question véritable vient du fait qu’il a été conçu in vitro et qu’il veut savoir si vous le jugez. Trouver la vraie question demande beaucoup d’écoute et d’empathie.

- Parfois il y en a beaucoup qui rigole en façade mais qui se dise après : au fond il a raison, j’admire sa foi, j’admire ses convictions et j’aimerais bien être aussi fort intérieurement. Ne vous laissez pas dérouter par les premières réactions. Parce qu’il y a tout se qui se passe après et que vous ne verrez pas mais qui produire un fruit inattendu. J’en ai fait souvent l’expérience.

- Enfin il faut que vous sachiez une chose. N’ayez aucun complexe dans notre république laïque. Un courant essaie de nous faire croire qu’au fond la foi est illégitime ; et que s’il y avait moins de religion, il y aurait plus de paix ; s’il y avait moins de croyants, notre société se porterait mieux. En partant du principe que les religions sont facteurs d’intolérance et de divisions.

* Mais voilà. Faisons bien une différence : l’Etat est laïc ; c'est-à-dire que nos institutions ne donnent de préférence à aucun culte et ne subventionne pas les églises ou les communautés religieuses. C’est un principe d’organisation de nos institutions.

* Mais notre société, elle, n’est pas laïque. Notre société rassemble les gens qui la composent ; or dans ceux qui la composent il y a aussi des chrétiens, comme il y a des musulmans, des juifs, des bouddhistes. La société est comme cela. Personne n’a le droit de dire que la société est laïque. Ce serait contraire à la liberté de croire, de confesser sa foi, de pratiquer son culte. Nous ne vivons pas dans une société laïque ; nous avons un Etat qui est laïc mais qui reconnaît à tout citoyen la liberté non seulement de croire mais aussi de parler de sa foi en public, au grand jour.

* L’évangélisation n’est pas un délit ! La foi n’est pas du domaine du privé ou de l’intime. La foi concerne notre vie publique.

* Et nous chrétiens, nous aimons notre monde comme il est ; nous aimons la société dans laquelle nous vivons. Et nous voulons la servir, y planter le Royaume de Jésus et y répandre l’esprit des béatitudes. Ce monde dans lequel Dieu nous a mis, nous voulons le porter dans notre prière, lui dire qu’il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir, que l’amour est plus fort que la mort et que le Christ ne cesse de nous ouvrir un chemin de vie, un avenir.

* Ce monde, nous voulons lui dire l’espérance qui nous habite, le Christ mort et ressuscité pour tout homme.

* N’ayez pas peur de dire cela à vos proches, à vos amis, à vos collaborateurs, dans vos familles. En vous confiant à l’Esprit Saint, sans avoir peur. Parfois par des paroles, parfois par un simple geste ; parfois de manière explicite, parfois de manière plus cachée. Si vous avez vécu des moments de profonde joie ici, pendant ces quelques jours, alors ne privez pas de cette joie ce monde dans lequel nous vivons et qui y aspire. Amen.

Mgr Nicolas Brouwet, évêque de Tarbes et Lourdes
dimanche 28 juillet 2013, église Sainte-Bernadette, sanctuaire de Lourdes lors du rassemblement des jeunes à Lourdes en communion avec les JMJ de Rio

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