Jeudi Saint - La Sainte Cène du Seigneur
« Le
mystère de la croix nous est déjà donné dans sa plénitude puisque le Christ
offre et célèbre au Cénacle le sacrifice qu’il va accomplir le lendemain sur la
Croix.
Vraiment,
c’est une bénédiction que l’institution de l’Eucharistie ait lieu avant la
Passion. Le Seigneur nous instruit et donne d’abord à son Eglise, constituée
par les Douze, la réalité sacramentelle de l’Amour, du pardon, de la
Rédemption, le Sacrifice de l’Alliance nouvelle en son sang, avant de les
entraîner, à sa suite, dans l’offrande de sa vie par le supplice de la croix.
Comment réagirions-nous si nous étions face au Crucifié sans avoir d’abord reçu
l’Eucharistie ?
Probablement
comme les passants qui, regardant la croix, sont pris dans les ténèbres (cf.
Luc 23, 44), foudroyés par l’incompréhensible signe dressé entre ciel et terre.
L’attitude spirituelle du Jeudi Saint nous demande d’accepter la bénédiction
que représente l’Eucharistie, dans la mémoire de la délivrance d’Israël. Dieu
fait naître en nous la joie profonde de l’action de grâce. Demandez alors à
Dieu, avec force, la grâce de le bénir dans l’Eucharistie et de recevoir le
Corps livré et le Sang versé comme un don de paix, de bénédiction et de
réconciliation. En cette anticipation de l’épreuve qui doit venir, désirez que
la Passion nous soit douce : d’abord, le Salut reçu ! Qu’elle nous soit
communion et union au Christ, lui qui est "avec
nous, tous les jours jusqu’à la fin des temps" (Mt 28, 20). Le mystère eucharistique nous est
"transmis", nous dit saint Paul, pour constituer l’Eglise tout au
long de l’Histoire. Le Christ nous donne son Corps et son Sang, vraie
nourriture, vrai breuvage, Pain de Vie, gage de résurrection ultime.
L’Esprit
saisit nos corps mortels, nous donne la Vie, nous transfigure, nous divinise.
Voici, au-delà de notre sensibilité et de ses obscurcissements, le signe et le
gage de la Présence du Seigneur donnée à son Eglise et gardée dans son Eglise
par son acte liturgique. Rendez grâce ce jour-là, même si, pour quelque motif
que ce soit, votre peine est grande ! Ne vous laissez pas accabler. Avec le
Christ, rendez grâce. Epousez l’action de grâce de tout le peuple de Dieu.
Laissez-vous porter par cette vague d’action de grâce, par les psaumes du
Hallel (113 à 118) que le Christ chante cette nuit-là. Laissez cette action de grâce monter de plus loin que vous et vous
porter au-delà de vous-mêmes. Car, à ce moment-là, vous accomplissez le mystère
sacerdotal du peuple de Dieu.
Le
Jeudi Saint, il vaut la peine de méditer la trahison de Judas. Ne pas prendre
ce récit avec horreur, mais comprendre par la foi que cette trahison est le
signe déchiffrable de la réalité du péché - infidélité, rupture, division - qui
mène le Christ à la Croix. Et, pourtant, Judas n’est pas d’un autre bois que
les Onze. Judas demeure pour nous un frère aimé et perdu que nous ne devons pas
exécrer. Si Pierre pleure et reçoit la miséricorde, Judas désespère et se
détruit. Mais c’est le secret de Dieu de savoir où l’a conduit son désespoir et
jusqu’où l’amour du Rédempteur va le chercher. Le Christ l’a aimé et est mort
pour lui aussi.
Le
Christ, descendu aux enfers, a parcouru tous les abîmes de la mort. Judas,
brebis perdue, aurait-il le pouvoir de se dérober au Bon Pasteur qui veut le
retrouver ? La trahison de Judas nous permet de mesurer la gravité de notre
péché, d’éclairer le véritable enjeu de nos choix face à l’amour du Christ. A
cet égard, le verset 23 "Et eux (les
Douze) se mirent à se demander quel était donc parmi eux celui qui allait faire
cela" est remarquable. Tous se jugent donc capables de trahir !
Ils
sont moins sûrs d’eux-mêmes que nous. La nuit du Jeudi Saint, priez la nuit
! »
Méditation des Jours Saints par le Cardinal Jean Marie Lustiger