Lettre de Mgr d’Ornellas : Le Carême pour un monde en feu
Pour l’ouverture du Carême 2022, ce mercredi 2 mars, Mgr Pierre d’Ornellas écrit une lettre aux catholiques de son diocèse. L’Archevêque de Rennes ancre sa méditation de « disciple de Jésus » sur l’actualité de l’Église et du monde. Puis il offre 5 pistes pour vivre le Carême dans ce monde troublé « pour que nous revenions vers le Christ ».
AUX CATHOLIQUES D’ILLE-ET-VILAINE
Le Carême pour un monde en feu
Chers amis, voici arrivé le Carême, temps de grâce et de bénédiction, temps de conversion aussi. Ce Carême ravive l’espérance en ces jours si compliqués et difficiles. Comment les vivre en chrétiens, « disciples » de Jésus, alors que nous connaissons nos faiblesses et que nous avons des interrogations ?
« Le monde est en feu »
La guerre en Europe sur le sol ukrainien nourrit de graves inquiétudes. Quelle que soit sa forme, la guerre est un mépris aveugle et violent qui écrase l’aspiration des familles à la paix, suscitant la mort et des souffrances multiples. Pensons au déferlement des violences djihadistes dans le Sahel, au régime des talibans en Afghanistan, à la répression brutale en Birmanie, …
► « Disciples » de Jésus, en défendant les valeurs de liberté et de respect mutuel, saurons-nous diffuser la paix dont le Seigneur nous fait les messagers ?
La pandémie nous a tous marqués. Elle est – nous l’espérons – sur la fin. Cependant, elle a entraîné des blessures. Elle a suscité des options tranchées qui ont malmené l’unité fraternelle qu’il est normal de vivre entre chrétiens. Elle a parfois provoqué des divisions au sein d’une famille. Elle a généré de l’angoisse, comme je l’ai entendu, en focalisant l’attention sur soi-même face à la loi civile du passe-sanitaire ou vaccinal.
► « Disciples » de Jésus, en favorisant l’unité, saurons-nous vivre selon la loi du Christ qui est supérieure à tout car elle est charité et miséricorde ?
Les élections présidentielles apportent leur trouble. Où allons-nous ? Nous sommes assaillis de petites phrases et de propos démagogiques qui engendrent des passions stériles. Nous nous demandons comment sera prise en compte la lutte efficace contre le réchauffement climatique et la perte de la biodiversité, et contre les injustices qui frappent les plus pauvres. Ce trouble est accentué par des lois sociétales qui se sont succédées et qui bafouent l’écologie humaine en manquant gravement au respect dû à la dignité de l’être humain.
► « Disciples » de Jésus, saurons-nous discerner avec justesse et sagesse ce qui protège « le caractère transcendant de la personne humaine » ?
Le rapport de la Commission Indépendante sur les Abus Sexuels dans l’Église (CIASE) a suscité tristesse et découragement ainsi que la révolte, bien légitime. Ce Rapport est conduit par l’attention prioritaire aux personnes victimes et à leurs témoignages. Il invite à la prévention pour le bien de tout mineur. L’Église s’y est engagée résolument au nom de l’Évangile du Christ. La médiatisation de ce Rapport a éveillé nos regards sur la gravité des abus.
► « Disciples de Jésus, avec les prêtres fidèles à leur engagement, saurons-nous éradiquer dans l’Église tout abus de pouvoir, si contraire à Jésus « doux et humble de cœur » (Matthieu 11,29) ?
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Tout cela me fait penser à une exclamation de sainte Thérèse d’Avila : « Le monde est en feu, ce n’est pas le moment de traiter avec Dieu d’affaires de peu d’importance ! » Quelles sont donc les affaires dont nous devons traiter avec Dieu dans la prière et par notre vie ? Diffuser la paix de Dieu, vivre de la charité du Christ, discerner le plus juste, vivre avec douceur et humilité !
Le Carême est propice pour cela. Ce temps de 40 jours nous est offert pour que nous revenions vers le Christ. Il est là, vivant, présent au milieu de nous. Là où nous en sommes sur notre chemin de vie et de foi, avec les questions qui nous habitent, Il nous appelle avec tendresse à nous convertir et à croire en Lui : « Convertissez-vous, le Royaume des Cieux s’est approché. » (Matthieu 4,17)
Accueillir avec bienveillance
Le Carême est le temps favorable pour sortir du repliement sur soi et de la crainte, pour aller vers les autres avec bienveillance et confiance. Souvenons-nous que Dieu accueille chacun de ses enfants, quels qu’ils soient. Les Évangiles montrent comment Jésus accueille chaque personne en lui disant : « Si tu savais le don de Dieu ! » (Jean 4,10) Il nous appelle à faire de même.
Nous aussi, accueillons-nous les uns les autres en toute sincérité. Accueillons le plus fragilisé. Tissons les liens qui favorisent la fraternité selon le désir de Dieu. Ne tolérons pas qu’une personne reste dehors. Ne nous laissons pas gagner par des postures qui excluent, jugent, divisent.
Le Nouveau Testament utilise l’expression « fraternité » pour parler de l’Église (1 Pierre 5,9). Voilà la vocation de nos communautés chrétiennes : être des lieux de fraternité et de bienveillance qui témoignent du don de Dieu ! Demandons-Lui la grâce d’être artisans de fraternité qui donne joie.
Susciter partout la paix
Le Carême est un temps privilégié pour sortir de l’inquiétude et de la peur. Cela n’est possible que si nous recevons de Dieu la paix. Souvenons-nous qu’Il est ami de la paix (cf. Isaïe 9,7). Les Évangiles s’achèvent par ce grand don : « La paix soit avec vous ! », dit Jésus ressuscité (Jean 20,19). Partout où Il passe, Il laisse sa paix. Il nous lance un appel : « Heureux les artisans de paix, ils seront appelés fils de Dieu. » (Matthieu 5,9)
Choisissons d’être du côté de la paix. Offrons-la en nos familles, autour de nous, chez nos amis, dans notre commune ou notre quartier, au sein de notre environnement professionnel, dans notre communauté chrétienne. N’entrons pas dans les passions qui dressent les uns contre les autres. Ne nous laissons pas obnubiler par les conflits qui attristent et font peur. Sachons trouver les mots et les gestes qui réconcilient et apaisent. Accueillons-la paix de Dieu. En toutes nos relations et décisions, soyons artisans de sérénité qui donne paix. Prions pour que la paix vienne dans le monde.
Être miséricordieux comme le Père
Le Carême est le temps particulier où Dieu fait miséricorde. Souvenons-nous qu’Il s’est révélé comme le « miséricordieux », plein de tendresse (cf. Exode 34,6-7). Les Évangiles dévoilent l’inépuisable tendresse du Père : celle-ci déborde de son cœur quand son fils pécheur revient vers Lui (Luc 15,20).En priant le Je vous salue Marie, nous nous reconnaissons « pauvres pécheurs ». Mais nous savons que le pardon est là. Allons le recevoir avec joie dans le sacrement de Réconciliation. Le pardon vient de Dieu qui nous invite à pardonner à notre tour « du fond du cœur » (Matthieu 18,35). Jésus nous y appelle : « Soyez miséricordieux comme le Père. » (Luc 6,36)
Avec le pardon, retrouvons l’élan de vie, de confiance et d’amour qui est au fond de nous et qui ne demande qu’à nous emporter. Détournons-nous du superficiel qui attriste et tournons-nous vers l’essentiel qui réjouit. Il n’est plus temps de se perdre dans de vains discours orgueilleux. Aspirons à la pureté du coeur d’où jaillit l’amour authentique et fidèle, prompt au pardon qui donne espérance.
Ensemble pour un renouveau de l’Église
Le Carême est un temps de grâce pour écouter ces appels du Seigneur Jésus. Comment y répondre concrètement, là où chacun de nous est engagé ? « Cherchez, vous trouverez », dit Jésus (Matthieu 7,8). Voilà le Carême : c’est le temps où Dieu donne sa grâce pour que nous trouvions les meilleures manières de répondre à ses appels, car nous aurons cherché en toute sincérité et humilité.
Je vous encourage à partager entre vous au sein de la démarche synodale à laquelle nous a appelés le pape François. « Synodal » signifie marcher ensemble. Oui, n’hésitez pas à entrer dans une fraternité pour chercher avec d’autres frères et sœurs, en vous mettant à l’écoute de la Parole de Dieu.
Ensemble, vous trouverez les chemins de l’accueil, de la bienveillance et de la fraternité. Vous discernerez les attitudes et les paroles qui donnent paix et qui réconcilient. Vous découvrirez les moyens de conversion qui permet d’être davantage miséricordieux. Vous saurez proposer ce qui convient pour que notre Église soit toujours plus celle de Jésus, sans aucun abus de pouvoir. Vous inviterez aux changements nécessaires afin que nous nous comportions comme des frères et sœurs, à la suite de Jésus ressuscité, « le premier-né d’une multitude de frères » (Romains 8,29). Vous édifierez une communauté joyeuse et missionnaire, offrant à tous la consolation de Dieu qui aime.
Témoins de l’Amour
En ce monde en feu, « n’ayez plus peur », nous dit Jésus (Jean 6,20). Permettez-moi de vous encourager : vivez avec humilité, ardeur et fidélité selon l’originalité de l’Évangile du Christ. Son maître-mot est « amour ». « Dieu est amour : qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui. » (1 Jean 4,16) Là est la source de l’espérance ! Ne vous laissez pas voler l’espérance.Sachez discerner cet Amour qui traverse tant de vies et d’histoires. Laissez-vous toucher par cet Amour et emporter par lui. Allez le quémander dans la prière et le puiser à l’Eucharistie, le sacrement de l’Amour. Le Seigneur Jésus vous envoie dans ce monde en feu pour y porter le témoignage de cet Amour. Faites-le « avec douceur et respect » (1 Pierre 3,16).
Soyez heureux de vivre ce Carême en vous tournant vers le Christ. Il vous aime. Il est proche de vous. Il habite vos familles, vos communautés. Choisissez-Le comme boussole et ami. Priez-Le. Méditez son Évangile. Du Jeudi Saint à Pâques, nous célébrerons notre bien-aimé Sauveur, mort et ressuscité pour que nous recevions sa paix et pour que nous nous aimions les uns les autres.