Auschwitz : "Chaque homme est responsable de ce qui l'habite, lui, du bien et du mal". Cardinal Lustiger

(…) Auschwitz  montre de quoi les hommes sont capables, et aussi la responsabilité mondiale de l'humanité. Il faut donc éduquer les générations futures à cette responsabilité, non pas comme une culpabilité qui pèserait sur les hommes, mais comme une mise en garde.

Nos civilisations sont capables de maîtriser cela sur des dimensions réduites : on sait faire de la prévention sanitaire, parfois dans certains pays, par exemple contre les risques routiers, ou contre le tabac. 
Mais comment graver dans la « conscience » des générations qui viennent qu'elles ont à gérer leur liberté pour qu'elle ne devienne pas folle, et qu'elle soit fondée sur le respect imprescriptible des droits des autres êtres humains ?

Sinon, le risque est celui de cette catastrophe absolue, d'un peuple détruit, simplement parce qu'il était ce peuple, avec ses jeunes, ses vieux, ses femmes, ses enfants, sans distinction de culture, d'utilité sociale, etc. Aucun argument rationnel ne tient là-dedans. 
A ce titre, cela concerne toute l'humanité, et pas simplement les victimes, pas simplement les bourreaux. Les victimes sont un signe qui doit nous faire réfléchir.

D'autre part, cet "antisémitisme" porté à son paroxysme technique qu'a été l'entreprise nazie - il faut dire que du côté stalinien il y a eu quelques entreprises aussi que l'Histoire n'a pas encore révélé- a une autre explication dans le contexte de la civilisation occidentale et mondiale: ce peuple a été tué pour être tué. On en découvre encore des victimes. 
Dans les pays de l'Est, on commence à inventorier seulement maintenant des charniers de juifs russes, ukrainiens, exécutés, fusillés, dès 1939.
Comment expliquer cet antisémitisme ? Aucune explication sociale, économique, nationale, culturelle, ne justifie une telle extermination. 
Quelle valeur symbolique représentait ce peuple aux yeux des nazis, d'une partie de l'Occident ?

J'ai la conviction intime que le peuple juif continue d'être porteur de cette loi morale fondamentale qu'il reçoit de la révélation des Dix Commandements, dont la transcription séculière et laïque sont les Droits de l'homme, à condition de leur conserver toute leur rigueur. 
Et aussi, il est porteur d'une transcendance que l'athéisme occidental peut nier, mais dont la personne humaine porte la trace. Même un athée occidental hérite d'une certaine transcendance de la condition humaine.
Un héros de Dostoïevski dit: "Si Dieu n'existe pas, on peut tout faire" 
Ce mot est prophétique. Il s'agissait de tuer les témoins. Tuer le messager, pour supprimer le message. Tuer le peuple porteur de cela malgré lui, malgré ses erreurs, quels que soient le génie, les faiblesses de ces pauvres gens, leurs lâchetés. Il n'y avait pas à les choisir : c'est cela qu'ils représentaient. 
Il fallait donc les tuer tous. Les tuer en raison de ce qu'ils étaient, pas en raison d'une responsabilité personnelle. Ce n'est pas de l'eugénisme, même si c'est habillé d'une théorie raciale qui ne tient pas debout scientifiquement. Il fallait les tuer, c'est aussi simple que cela. (….)

Auschwitz dévoile ainsi ce que nous refusons de voir dans tous les autres malheurs ou massacres du monde, et dans tout ce qui s'est passé depuis soixante-dix ans dans le monde. Que le mal absolu, c'est le manquement à l'humanité de l'homme.  (…)

Chaque homme est responsable de ce qui l'habite, lui, du bien et du mal. Cela concerne toute l'humanité, pas seulement les amis ou les ennemis des Juifs, pas seulement les Européens, à défaut des Asiatiques ou des Africains. Cela concerne tout homme et toute l'humanité.»  

Entretien du  Cardinal Jean Marie Lustiger le 21 janvier 2005 aux journalistes. Le cardinal Lustiger était archevêque de Paris. Sa mère est morte à Auschwitz en 1943.

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