Que veut dire une « Église en sortie » ? Catéchèse de Mgr Pierre d’Ornellas, archevêque de Rennes, Dol et Saint-Malo
Que veut dire une « Église en sortie » ?
Catéchèse de Mgr Pierre d’Ornellas, archevêque de Rennes, Dol et Saint-Malo
Notre-Dame de La Peinière, dimanche 10 septembre 2017
Le pape François désire une « Église en sortie ». C’est l’expression qu’il emploie dans La joie de l’Évangile et qu’il a souvent répétée. Mais que signifie une « Église en sortie » ?
1 – Le semeur est sorti
En lisant les Évangiles, François va à une parabole bien connue, la parabole du semeur. Le semeur sème et du grain tombe partout : sur la pierre, là où il y a des ronces, au bord du chemin et sur la bonne terre. Bref, sur tout homme ! Mais la parabole commence par une affirmation simple et grandiose : « Voici que le semeur est sorti pour semer. » (Marc 4,9) Quel beau geste ! Tout est dit dans cette phrase. Le semeur est tout entier dans son mouvement de sortie pour accomplir ce pour quoi il est fait : semer.
Or, Jésus est étonné que ses disciples ne comprennent pas : « Vous ne saisissez pas cette parabole ? Alors, comment comprendrez-vous toutes les paraboles ? » (Marc 4,13) Jésus la considère donc comme essentielle. D’ailleurs, il l’a commencée en disant : « Écoutez ! Voici… » Le verbe « écouter » indique l’attitude la plus profonde vis-à-vis de Dieu qui parle (Voyez Luc 8,18.21 ; 9,35). Le mot « voici » indique souvent un dévoilement de ce qui est caché (Voir par exemple : « Voici ta mère », Jean 19,27). Il s’agit donc de la parabole fondamentale.
Jésus va donc l’expliquer. Il précise que « le semeur sème la Parole » (Marc 4,14). Le semeur est donc Dieu lui-même. Dieu est sorti pour donner sa Parole à tous ! Voilà la vérité la plus essentielle !
2 – Il est sorti en raison de sa miséricorde
Or, dans l’Évangile selon saint Marc, nous lisons la même chose à propos de Jésus lui-même. Le Pape va aussi à ce passage que je vous lis en entier : « Le lendemain, Jésus se leva, bien avant l’aube. Il sortit et se rendit dans un endroit désert, et là il priait. Simon et ceux qui étaient avec lui partirent à sa recherche. Ils le trouvent et lui disent : "Tout le monde te cherche." Jésus leur dit : "Allons ailleurs, dans les villages voisins, afin que là aussi je proclame l’Évangile ; car c’est pour cela que je suis sorti." Et il parcourut toute la Galilée, proclamant l’Évangile dans leurs synagogues, et expulsant les démons. Un lépreux vient auprès de lui ; il le supplie et, tombant à ses genoux, lui dit : "Si tu le veux, tu peux me purifier." Bouleversé de miséricorde, Jésus étendit la main, le toucha et lui dit : "Je le veux, sois purifié." À l’instant même, la lèpre le quitta et il fut purifié. » (Marc 1,35-41) Pourquoi donc Jésus est-il sorti ? Pour « proclamer l’Évangile » à tous les villages. Il est bien le « semeur [qui est] sorti » en vue de donner la Parole de Dieu. Mais qu’est-ce qui le pousse à « sortir » ?
En lisant la suite, on comprend immédiatement : il est « bouleversé de miséricorde ». Le lépreux représente tous les hommes. Il nous représente, chacun de nous, sans exception. La lèpre signifie le péché. Face à cette lèpre, Jésus ne condamne pas mais déborde d’une infinie tendresse. Voilà le vrai motif de cette « sortie » de Jésus. Dieu lui-même est « sorti » pour semer sa Parole pour tous parce qu’il est « le miséricordieux ». Souvenez-vous de la fin du livre de l’Exode dans la Bible : Moïse découvre que Dieu est « le miséricordieux » (Exode 34,6). Nous l’avions lu ici à la rentrée pastorale en septembre 2015 pour nous préparer au Jubilé de la Miséricorde. Vous pouvez retrouver cela dans le livre : Ne vous laissez pas voler la joie d’aimer.
Il faudrait que tous les chrétiens dans notre diocèse retiennent cette grande vérité de notre foi : Dieu est « sorti » parce qu’il est « le miséricordieux ».
Il est « sorti » par l’envoi de son Fils, par l’incarnation du Fils de Dieu dans le sein de Marie, par sa naissance et sa vie parmi nous. Il est « sorti » jusqu’à « porter le péché du monde » (Jean 1,29) et mourir comme un maudit (cf. Galates 3,13), sur la croix. Pourquoi cette sortie ? En raison de son amour miséricordieux !
Que cela soit « gravé dans nos cœurs », pour que nous le « ruminions jour et nuit », que « nous le répétions à nos enfants et aux enfants de nos enfants, assis dans nos maisons ou marchant sur la route, couchés aussi bien que debout », comme le dit la Bible (Jérémie 31,33 ; Psaume 1,2 ; Deutéronome 6,7).
3 – L’appel à aimer, à être miséricordieux
Mais que fait le Christ ? Il se choisit des « disciples » et il les forme en les entraînant à sa suite : « Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés » (Jean 13,34). Ce « comme » n’indique pas une imitation extérieure. Cela veut dire que Jésus ressuscité nous entraîne dans son propre mouvement de « sortie » (1). Ses « disciples » sont ainsi appelés à vivre « en sortie » grâce à la charité qui les anime et que Jésus ressuscité verse dans leur cœur. La charité du Christ devient celle de ses « disciples ».
Nous pouvons alors revenir à notre question initiale : Que signifie une « Église en sortie » ? C’est une Église qui aime, qui est bouleversée de miséricorde. Plus nous serons remplis de charité, plus nous serons « en sortie ». Nous avons un exemple lumineux de cette « sortie » en raison de la charité : sainte Mère Teresa, appelée « icône de la miséricorde », dont la fête était mardi, le 5 septembre. Cela a une conséquence immédiate : puisque nous sommes « disciples » de Jésus, membres de son Église, comment, ici, dans notre diocèse, pouvons-nous entendre son appel à aimer ? Comment grandir en charité ? Comment l’amour miséricordieux peut-il croître dans nos cœurs, nos regards, nos écoutes, nos paroles et nos gestes ?
À l’intérieur même de notre vie pastorale, quel que soit le service que nous accomplissons, retentit au fond de nos cœurs un appel à aimer davantage, à être davantage miséricordieux. Nous l’expérimentons dans les rencontres que nous faisons : les personnes âgées, les malades ou les migrants que nous accompagnons, les prisonniers que nous visitons, les enfants à qui nous faisons la catéchèse, les jeunes que nous côtoyons, les parents et les adultes que nous rencontrons d’une manière ou d’une autre, les familles en deuil que nous écoutons, tous, sans le dire et sans exception, sont une invitation à aimer.
Si nos rencontres se veulent authentiques, sincères, pleines d’écoute et de respect, évangéliques, nous sentons bien cet appel à grandir dans la charité et le pardon. C’est pourquoi, la mission vient de l’Eucharistie qui est le « sacrement de l’amour », de la méditation de la Parole de Dieu qui transforme et fait grandir la charité, de la prière personnelle et communautaire où Dieu répand mystérieusement sa charité dans les cœurs. Elle vient de la rencontre avec les plus pauvres qui nous obligent à nous débarrasser de nos mondanités ou de nos superficialités et à aller à l’essentiel : un cœur qui aime et se laisse blesser par la souffrance d’autrui.
4 – Notre « Démarche synodale » : comment grandir dans l’amour ?
Dans notre « démarche synodale », nous pouvons donc tous nous écouter fraternellement pour chercher ensemble comment mieux aimer. Cet amour a pris quatre tonalités : comment mieux rendre grâce ? Comment mieux vivre de façon fraternelle et accueillante ? Comment mieux recevoir le pauvre avec sa dignité ? Comment mieux approfondir notre foi pour aller dans le monde qui attend cette lumière ?
Dans le fond, notre « démarche synodale » existe parce que nous aimons Dieu et parce que nous aimons nos frères et sœurs vers lesquels Il nous envoie. Mais nous voulons mieux les aimer, aller vers eux avec davantage de joie, les accueillir avec plus de miséricorde, les accompagner avec une tendresse plus grande.
C’est pourquoi, nous cherchons ensemble ce qu’il faudrait faire pour que nous grandissions dans la charité. Quels seraient les moyens à prendre dans notre paroisse, dans notre école, dans notre aumônerie, dans notre mouvement pour que grandisse notre amour ?
Mais cela ne suffit pas car l’amour se traduit en « actes » (voyez Matthieu 25,34-40 ; Jacques 2,14 ; 1 Jean 3,18).
Pour aller vers les autres, pour recevoir ceux qui viennent vers nous, pour accompagner avec plus de justesse, pour accueillir toujours mieux la souffrance, que pourrions-nous faire de mieux ?
Que pourrions-nous mettre en place ? Que faudrait-il inventer ?
Il ne s’agit pas d’inventer de grandes choses. Parfois, de petits changements changent tout. En cherchant ensemble au sein de vos « fraternités synodales », vous trouverez certainement des propositions à faire. 170 contributions, au moins, ont déjà été envoyées, sans compter celles des collégiens de TIM et CAP. C’est magnifique ! Mais je vous encourage à continuer pendant les cinq mois qui viennent, jusqu’au 4 février prochain.
Le pape François nous encourage dans notre démarche synodale. Écoutez-le : « Tout chrétien et toute communauté discernera quel est le chemin que le Seigneur demande, mais nous sommes tous invités à accepter cet appel : sortir de son propre confort et avoir le courage de rejoindre toutes les périphéries qui ont besoin de la lumière de l’Évangile. » (n. 20)
Dans notre diocèse, j’ai découvert une chrétienne qui a vécu cela de façon admirable : remplie d’amour, dans la simplicité d’une vie tout ordinaire, elle était constamment « en sortie » dans sa ville de Betton. Il s’agit de Léontine Dolivet. Vous pouvez la prier. Je vous en parlerai.
5 – Pour réfléchir à nos propositions, sept pistes de François
François nous donne d’abord cinq indications. Écoutez : « L’Église “en sortie” est la communauté des disciples-missionnaires qui prennent l’initiative, qui s’impliquent, qui accompagnent, qui fructifient et qui fêtent. » (n. 24)
1. Oser prendre l’initiative
« La communauté évangélisatrice expérimente que le Seigneur a pris l’initiative, il l’a précédée dans l’amour (cf. 1 Jean 4,10), et en raison de cela, elle sait aller de l’avant, elle sait prendre l’initiative sans crainte, aller à la rencontre, chercher ceux qui sont loin et arriver aux croisées des chemins pour inviter les exclus. […] Osons un peu plus prendre l’initiative ! » Cela demande d’être réfléchi : quelle initiative prendre ? Mais cela invite à ne pas rester sur ce que l’on fait parce qu’on a toujours fait comme cela. Le Pape voit bien que cette attitude enferme dans les habitudes confortables (cf. n. 33). Il est beau de voir un chrétien ou un groupe de chrétiens prendre une initiative nouvelle, même petite. L’amour est inventif, créatif !
2. S’impliquer vraiment
« L’Église sait “s’impliquer”. Jésus a lavé les pieds de ses disciples. Le Seigneur s’implique et implique les siens, en se mettant à genoux devant les autres pour les laver. Mais tout de suite après il dit à ses disciples : "Heureux êtes-vous, si vous le faites" (Jean 13,17). La communauté évangélisatrice, par ses œuvres et ses gestes, se met dans la vie quotidienne des autres, elle raccourcit les distances, elle s’abaisse jusqu’à l’humiliation si c’est nécessaire, et assume la vie humaine, touchant la chair souffrante du Christ dans le peuple. » Cela est une invitation à trouver des chemins pastoraux où on peut s’impliquer vraiment, c’est-à-dire agir pour le vrai bien des personnes. S’impliquer, c’est donner de soi pour autrui. « L’amour ne cherche pas son intérêt » (1 Corinthiens 13,5), mais le bien de l’autre.
3. Accompagner avec patience
« La communauté évangélisatrice se dispose à “accompagner”. Elle accompagne l’humanité en tous ses processus, aussi durs et prolongés qu’ils puissent être. Elle connaît les longues attentes et la patience apostolique. L’évangélisation a beaucoup de patience, et elle évite de ne pas tenir compte des limites. »
Cela est une invitation à ne pas d’abord considérer les obstacles ou les faiblesses des personnes, mais à voir les progrès qui sont possibles, ou encore les « petits pas » que la personne peut faire, selon l’expression de François (n. 44). Sous les obstacles et dans les difficultés, il y a une croissance possible qu’il faut accompagner avec amour, sans être impatient de devoir passer à autre chose. « L’amour prend patience » (1 Corinthiens 13,4) !
4. Discerner les fruits
« Fidèle au don du Seigneur, elle sait aussi “fructifier”. La communauté évangélisatrice est toujours attentive aux fruits, parce que le Seigneur la veut féconde. Il prend soin du grain et ne perd pas la paix à cause de l’ivraie. Le semeur, quand il voit poindre l’ivraie parmi le grain n’a pas de réactions plaintives ni alarmistes. Il trouve le moyen pour faire en sorte que la Parole s’incarne dans une situation concrète et donne des fruits de vie nouvelle, bien qu’apparemment ceux-ci soient imparfaits et inachevés. »
Cela est une invitation à discerner les fruits réels qui mûrissent dans la vie d’une personne ou d’un groupe, alors même que des faiblesses se manifestent, parfois de façon brutale et décevante. Le chrétien qui est disciple-missionnaire ne se plaint pas, ne s’alarme pas. En se plaignant ou en s’alarmant, il suscite de la peur et un manque de confiance. Alors que le vrai « disciple » de Jésus discerne le fruit qui a mûri, même s’il est petit. C’est alors une invitation à l’espérance car « Dieu donne la croissance » (1 Corinthiens 3,7), même au milieu des obstacles. « L’amour espère tout » (1 Corinthiens 13,7) !
5. Fêter dans la prière communautaire
« La communauté évangélisatrice, joyeuse, sait toujours “fêter”. Elle célèbre et fête chaque petite victoire, chaque pas en avant dans l’évangélisation. L’évangélisation joyeuse se fait beauté dans la liturgie, dans l’exigence quotidienne de faire progresser le bien. L’Église évangélise et s’évangélise elle-même par la beauté de la liturgie, laquelle est aussi célébration de l’activité évangélisatrice et source d’une impulsion renouvelée à se donner. » Cela est une invitation à savoir se réjouir ensemble en rendant grâce à Dieu pour sa Parole qui germe dans les cœurs et produits de beaux fruits, ceux de l’Évangile. La communauté chrétienne qui est « en sortie » expérimente la beauté de la louange. Elle comprend le dialogue au cœur de la Messe : – Rendez grâce à Dieu, dit le prêtre ; – Cela est juste et bon, répondez-vous tous ensemble. « L’amour met sa joie dans la vérité ! » (1 Corinthiens 13,6)
Le pape François nous offre deux autres réflexions qui peuvent nous aider dans nos fraternités
synodales :
6. Pas de précipitation ni d’improvisation
Pour la première réflexion, je dirai que la « sortie » ne signifie pas la précipitation ou l’improvisation. Écoutez : « Sortir vers les autres pour aller aux périphéries humaines ne veut pas dire courir vers le monde sans direction et dans n’importe quel sens. Souvent il vaut mieux ralentir le pas, mettre de côté l’appréhension pour regarder dans les yeux et écouter, ou renoncer aux urgences pour accompagner celui qui est resté sur le bord de la route. » (n. 46)
Oui, l’activité évangélique au service d’une seule personne n’a pas de prix. Cette activité est grande ou modeste, elle est accomplie par amour. « L’amour rend service, il ne s’enfle pas d’orgueil ! » (1 Corinthiens 13,4)
7. Pas de pastorale parfaite et idéale
Pour la seconde réflexion, je dirai qu’il ne faut pas attendre d’avoir trouvé la pastorale idéale et parfaite pour « sortir », mais il faut plutôt la confiance en la bonté de Dieu et en la bonté des frères quand nous rencontrons l’inattendu qui dérange, bouscule, fait mal. On n’évangélise pas tout seul. Écoutez : « Je préfère une Église accidentée, blessée et sale pour être sortie par les chemins, plutôt qu’une Église malade de la fermeture et du confort de s’accrocher à ses propres sécurités. » (n. 49) L’amour se vit fraternellement !
Que Dieu bénisse vos fraternités synodales. Il y en a actuellement 480 dans les Paroisses sans compter celles dans l’Enseignement Catholique et dans les Mouvements. J’en rends grâce à Dieu ! D’autres peuvent naître maintenant. Que l’Esprit Saint verse en vos cœurs la charité et vous éclaire sur les chemins à prendre pour mieux vivre l’Évangile et pour mieux en témoigner autour de vous. Merci d’avance pour toutes les propositions concrètes que vous ferez. J’en ai vraiment besoin. Elles m’éclaireront pour mieux entendre ce que l’Esprit dit à notre Église de Rennes, Dol et Saint-Malo. J’ai moi-même une grande espérance dans la « Démarche synodale ». J’ai une grande joie quand je vois que notre Église désire être habitée par la charité et rayonner la joie d’aimer. J’ai une grande joie quand j’entends qu’elle souhaite vivre la fraternité qui donne de l’élan pour tous les disciples-missionnaires. Merci à chacun et à chacune d’être ce que vous êtes dans les mains de Dieu.
(1) Voir le Catéchisme de l’Église Catholique, n. 2842 : « Ce "comme" n’est pas unique dans l’enseignement de Jésus : "Vous serez parfaits ‘comme’ votre Père céleste est parfait" (Matthieu 5,48) ; "Montrez-vous miséricordieux ‘comme’ votre Père est miséricordieux" (Luc 6,36) ; "Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres ‘comme’ je vous ai aimés" (Jean 13,34). Observer le commandement du Seigneur est impossible s’il s’agit d’imiter de l’extérieur le modèle divin. Il s’agit d’une participation vitale et venant "du fond du cœur", à la Sainteté, à la Miséricorde, à l’Amour de notre Dieu. Seul l’Esprit qui est "notre Vie" (Galates 5,25) peut faire "nôtres" les mêmes sentiments qui furent dans le Christ Jésus (cf. Philippiens 2,1.5). Alors l’unité du pardon devient possible, "nous pardonnant mutuellement ‘comme’ Dieu nous a pardonné dans le Christ"
(Éphésiens 4, 32). »