Ecologie : la nécessité d’un cadre éthique par Falk Gaver
Ecologie : la nécessité d’un cadre éthique
Publié le mercredi 31 octobre 2007 par le Diocèse du Var
L’antenne locale de Saint-Raphaël de l’Observatoire sociopolitique du diocèse de Fréjus-Toulon a organisé samedi 24 mars 2007 une rencontre intitulée : "L’urgence climatique et ses enjeux".
Après la projection au cinéma Le Lido d’"Une vérité qui dérange" d’Al Gore, une conférence et débat était proposée à la salle Don Bosco sur : "La question énergétique" par Jean Grisey, ingénieur en retraite ; "Le développement durable : mythe ou réalité ?" par Yves Urvoy, commission environnement de l’Observatoire ; "Les modifications nécessaires du mode de vie " par Joëlle Taillefer, consultant d’entreprises ; "La nécessité d’un cadre éthique" par Falk van Gaver, journaliste indépendant. Entre le film et le débat, étaient présentes entre 200 et 250 personnes.
Voici l’intervention de Falk Van Gaver, journaliste.
Ecologie : la nécessité d’un cadre éthique
Qu’est-ce que l’éthique ? Pourquoi une morale ? Quel rapport entre morale et écologie, éthique et crise climatique ? Pourquoi un cadre éthique serait-il nécessaire à la nécessaire révolution écologique ? Que serait une morale écologique ? Sur quoi pourrait-elle se fonder ? C’est ce que je vais tenter ici d’explorer et d’exposer, de façon bien limitée et imparfaite hélas. J’espère que mon propos aura tout de même quelque pertinence et ouvrira quelques pistes à développer.
« Je fais le mal que je ne voudrais pas et je ne fais pas le bien que je voudrais. » Cette citation de l’apôtre Paul, qui résume le drame moral de l’humanité, illustre particulièrement notre quasi schizophrénie en matière d’écologie : qui n’est pas écologiste aujourd’hui ? Mais qui l’est réellement, dans sa vie concrète, dans son quotidien ?
Dans son film Une vérité qui dérange, Al Gore dit que la plupart des gens, face au réchauffement climatique, passent directement du déni au désespoir, en restant dans la même inaction. Mais le moment de la prise de conscience est justement le moment de l’action, de la décision, du choix : de la morale. Car la question écologique – de même que la question sociale et la plupart des grandes questions de l’humanité – est avant tout une question morale. Reste à savoir de quelle morale nous parlons, de quelle éthique il s’agit.
Max Weber avait distingué éthique de responsabilité et éthique de conviction – valorisant implicitement la première. L’éthique de responsabilité serait une morale rationnelle qui prendrait en compte les conséquences des actes – et qui se fonderait en fait sur ces dernières pour déterminer la valeur des actes, tandis que l’éthique de conviction serait une morale de principe, attachée avant tout à la valeur de l’acte en soi, valeur jugée en fonction de sa conformité au principe et qui ne se soucierait guère de ses conséquences. C’est la devise du chevalier Bayard : « Fais ce que dois, advienne que pourra. » L’éthique de responsabilité serait donc rationnelle, objective, réaliste ; l’éthique de conviction, irrationnelle, subjective et idéaliste. D’un côté, la raison, le pragmatisme, et de l’autre, la révélation, l’utopisme – voire le fanatisme.
Bref, en termes modernes, l’éthique de responsabilité, qui est une morale de l’utilité, serait plus légitime que l’éthique de conviction, qui est morale de principe. On en appelle souvent à l’éthique de responsabilité en écologie – on l’a vu notamment avec le philosophe allemand Hans Jonas et son « principe de responsabilité » -, ce qui est une bonne chose, puisque l’on voit ainsi que le respect de la nature n’est pas simplement lié à un sentiment ou une opinion mais à une nécessité, vitale pour l’humanité : celle de sa vie et même de sa survie. On voit ainsi le souci écologique passer pour le grand public de l’ordre des idées à l’ordre des faits, de l’ordre de l’idéal à celui du réel.
Mais l’éthique de responsabilité est-elle suffisante ?
Puisqu’elle ne mesure ses actes qu’à l’aune de leurs conséquences, et qu’elle ne mesure pas toujours les conséquences de ses actes – que ce soit par ignorance, négligence ou impuissance -, n’est-ce pas justement la réduction de la morale à l’utilitarisme – c’est-à-dire : est bon ce qui est utile, ou du moins ce qui parait immédiatement utile – qui nous a mené à cette crise écologique majeure dans laquelle nous sommes plongés et qui ne fait que commencer ?
Effectivement, c’est à partir du moment où le regard premier sur la nature a été modifié – à partir du moment où est apparue la modernité, avec son mouvement justement de sécularisation, de laïcisation, de désenchantement, de désacralisation, et en Occident de déchristianisation -, c’est alors qu’a commencé dans l’humanité un nouvel usage de la nature : non plus sa culture, mais sa domination, son exploitation, sa manipulation jusqu’à sa modification intime et sa destruction – mouvement qui, comme on le voit bien, concerne aussi bien la nature au sens de réalité extérieure à l’homme que la nature même de l’homme (avec la génétique, le clonage, les recherches sur embryon, etc.).
C’est à partir du moment où la nature n’a plus été considérée comme don qu’elle a été exploitée et détruite, et non plus seulement cultivée et gardée. Qu’est-ce qui faisait qu’elle était considérée comme don ? Le fait qu’elle soit ait été créée, créée par Dieu, qu’elle soit création. A partir de la modernité – et notamment de la philosophie de Descartes – la nature n’est plus considérée comme don vivant, création divine reflétant quelque chose de son créateur, donc intrinsèquement et fondamentalement bonne, mais comme matière première, matériau brut à exploiter.
Séparer éthique de conviction et éthique de responsabilité ne tient plus la route : car nous voyons ici qu’une seule éthique des conséquences sans principes peut mener à tout et n’importe quoi, et que c’est la modification du principe premier, de la conviction fondamentale – ne plus voir la nature puis l’homme comme création et don divin mais comme matière inerte – qui a eu les conséquences que l’on connaît : destruction de la nature à échelle industrielle, mais aussi de l’homme. Ainsi l’un des systèmes les plus inhumains qui ait duré a aussi été l’un des plus destructeurs de la nature, l’un des plus riches en catastrophes écologiques : le communisme. Mais nous ne sommes pas à l’abri des dérives inhumaines qui ont été à l’œuvre dans le nazisme ou le communisme – nous dont le fragile humanisme ne repose finalement que sur le même matérialisme qu’eux.
Avant l’éthique de responsabilité, il faut donc une éthique de conviction qui intègre la responsabilité : bref une morale complète et intégrale, qui soit fondée en principe et effective en réalité. Sans quoi l’on retrouve l’opposition d’Antigone et de Créon : l’une témoigne pour des principes de justice jusqu’à accepter de mourir pour eux, l’autre agit pragmatiquement pour défendre l’ordre public jusqu’à accepter le mensonge, l’injustice et la mort de l’innocente.
Mais le pragmatisme de Créon est à courte vue, car à terme une cité ne peut vivre en paix si ses fondement sont la violence, l’injustice et le mensonge, tandis que l’apparent idéalisme d’Antigone voit loin et est finalement plus réaliste : car finalement, ce qu’affirme Antigone, c’est que les hommes ne peuvent vivre en paix sans une justice supérieure à leurs rapports de force, leurs petits arrangements, leurs compromis et leurs compromissions.
Bref, la loi civile ne peut se fonder que sur une loi morale qui lui préexiste et qui en est le socle et le principe. La loi morale fonde la loi civile, la morale est le fondement de la loi.
Pour en revenir à l’écologie, et à la prise en compte pragmatique de la réalité de la crise climatique en particulier et de la crise écologique en général, il va de soi qu’une modification des comportements en vue d’une sauvegarde de la nature et de l’humanité doit passer par un cadre légal, c’est-à-dire législatif, exécutif et judiciaire – dans la rédaction des lois, leur mise à exécution et leur application. L’enjeu est trop grave et trop urgent pour être laissé à la seule appréciation individuelle et à la seule action personnelle – car alors, le conformisme, la paresse, le confort, ou tout simplement le sentiment d’impuissance, de solitude et d’inutilité paralysent tous nos efforts qui sont de fait insuffisants. Qu’ils soient insuffisants ne signifie pas qu’ils ne sont pas pour autant nécessaires – au moins pour leur valeur exemplaire, et on sait que c’est la valeur de l’exemple donné pendant des siècles malgré les persécutions et la corruption sociale et morale généralisée qui a fini par faire que l’empire romain est devenu chrétien. L’écologie doit donc passer par le cadre légal et avoir une autorité reconnue – par le peuple via ses représentants en démocratie – pour pouvoir exercer une contrainte bénéfique sur les comportements, en vue du salut public.
Mais une loi qui n’est pas comprise, qui n’est pas voulue, qui n’est pas acceptée, aura du mal à être appliquée, à être vécue. C’est pourquoi une morale écologique doit être immédiatement appliquée et vécue par les citoyens avant même qu’elle ne soit traduite en lois. On a vu avec Rome et le passage du paganisme au christianisme dans l’Antiquité que l’abolition de l’esclavage ne s’est faite que lentement sous influence chrétienne – et que ce sont les convictions égalitaires des chrétiens traduites dans leur comportement qui ont permis l’érosion sociale de l’esclavage avant sa disparition légale. Cet exemple est éclairant pour l’écologie : c’est en donnant l’exemple d’une conscience écologique traduite autant que faire se peut dans la vie quotidienne, dans l’ordre économique, social, que nous accélérons l’inscription de lois écologiques dans l’ordre politique, légal.
Que vient faire la morale là-dedans ?
La morale, chez les philosophes antiques, ce sont les principes qui régissent le comportement des humains – leurs mœurs -, particulièrement en société. La morale, c’est donc l’ensemble des principes qui régissent le comportement humain et l’action humaine. On peut penser ici au Décalogue, les fameux dix commandements qui, au-delà de l’aspect religieux judéo-chrétien, sont tout simplement l’énoncé des interdits, des devoirs et des droits qui permettent à toute société de vivre en paix. Je dis devoirs et droits car chaque interdit exprime sous la forme d’un devoir un droit qui lui correspond : « Tu ne tueras pas » exprime le droit à la vie et à la sécurité, « Tu ne voleras pas » exprime le droit à la propriété, « Tu ne mentiras pas » exprime le droit à la vérité, etc. Le Décalogue, que l’on soit croyant ou non, c’est la charte vitale des sociétés heureuses, le contrat social de base, et l’on en retrouve les principes dans toutes les religions, du moins les grandes religions (je ne parle pas ici des sectes ou des anciens paganismes à sacrifices humains…, mais, en plus du christianisme et du judaïsme, du bouddhisme, de l’hindouisme, de l’islam… essentiellement), mais aussi dans les philosophies, de la vertu de Platon ou d’Aristote jusqu’à la loi morale de Kant ou aux Droits de l’Homme… Nous reviendrons plus loin sur les enseignements du Décalogue en matière d’écologie.
La morale, ce sont donc les principes qui régissent chez chacun d’entre nous le comportement, l’action, les choix, les décisions, mais aussi les habitudes, les vices et les vertus… pour reprendre la terminologie philosophique. Tout le monde a une morale, a des principes, même si ce sont des principes amoraux ou immoraux, ils sont en quelque sorte une morale. Des gens comme Hitler ou Staline avaient aussi une morale, même si ce n’est pas « la » morale… Avoir « une » morale ne suffit donc pas, encore faut-il avoir une « bonne « morale. Il convient donc, pour chacun d’entre nous, de s’interroger sur les principes qui nous animent, sur les raisons qui nous font vivre, sur nos raisons de vivre, bref, sur tout ce qui conditionne et configure nos modes de vie, nos existences, notre existence à chacun, notre vie quotidienne. Cela est valable pour tout, mais nous centrons ici notre propos sur l’écologie.
Comme toujours en matière morale, pas de recettes magiques, pas de perfection immédiate, mais une prise de conscience, un examen de conscience oserais-je dire, en vue d’un changement, d’une conversion écologique – bref, d’une vie plus respectueuse, idéalement et concrètement, de la vie, de toute vie, de la vie sous toutes ses formes. Car le but d’une morale écologique, c’est que nous menions tous et chacun une vie toujours plus respectueuse de la vie, de toute vie, de la vie sous toutes ses formes.
Un des pères fondateurs de l’écologie, l’artiste naturaliste suisse Robert Hainard, prônait dès les années trente et quarante « une morale à la mesure de notre puissance », une morale plus forte à mesure que notre puissance sur la nature et l’humanité est plus forte – puissance de destruction notamment. Il me semble que le christianisme propose justement cette morale-là. Pourquoi parlerais-je ici plus spécialement de la morale chrétienne ?
Parce que je suis chrétien, d’abord, et parce que vous parler d’une chose qui n’irrigue pas mon existence – vraiment pas assez, bien sûr je l’avoue – serait ici vain : ce serait parler dans le vide, parler théoriquement, d’autant plus que la morale est éminemment, intrinsèquement existentielle, vécue, vivante – une morale théorique, ça ne veut rien dire, c’est toujours engagé dans tout un réseau de situations complexes, de vraies vies, que se situent le comportement moral, la décision morale, et rien n’est jamais simple ni facile. Mais si je vous parlerai ici plus spécifiquement de la morale chrétienne – de la morale écologique chrétienne, je précise, c’est parce que pour nous tous, que nous soyons chrétiens ou non, croyants ou non, le christianisme, le judéo-christianisme, la culture et la morale bibliques, sont, que nous le voulions ou non, que nous en ayons conscience ou non, le socle, le fondement, la source, le milieu de notre civilisation, de notre culture, de notre morale, de nos principes, son milieu naturel, son écosystème culturel et mental – que ce soit directement ou indirectement.
Ainsi, l’apparition de la Déclaration des droits de l’homme dans l’histoire de l’humanité est incompréhensible sans le christianisme, de même que la démocratie moderne, la laïcité même, etc., tout cela est sorti de la chrétienté occidentale. Nous sommes assis, nous dormons sur un trésor de sagesse, sur des siècles et des siècles de spiritualité occidentale, de sagesse chrétienne, et nous allons chercher ailleurs des bribes et des lambeaux de sapiences exotiques que nous importons chez nous bricolés a notre goût : pseudo chamanisme, « spiritualités orientales », bouddhisme arrangé et autres paganismes trafiqués…
Tout cela est fort sympathique, mais il est douteux que le rêve d’un retour à un néo-animisme généralisé soit très sérieux, très efficace comme socle spirituel et moral de l’indispensable révolution écologique. Il vaut mieux partir de ce que l’on a, et, croyants ou non, redécouvrir, réactiver, remobiliser les trésors enfouis, oubliés, négligés ou perdus de notre immense sagesse.
Cela dit, comme je le disais plus haut, cette morale chrétienne a de nombreuses choses en commun avec d’autres morales religieuses ou philosophiques, notamment en matière d’écologie. Rien ne nous interdit donc l’ouverture ni le dialogue avec d’autres cultures ou religions – bien au contraire. Mais une transplantation forcée et forcement artificielle de sagesses d’ailleurs ne me semble pas un point de départ efficient.
C’est donc pour les raisons que je viens d’invoquer que je vais évoquer ici plus spécifiquement quelques points, quelques pistes – sans prétendre épuiser le sujet, loin s’en faut – de ce que le christianisme propose comme morale écologique, comme principes de rapport entre l’humanité et la nature, non seulement aux chrétiens, mais à toute personne de bonne volonté. Je ne cherche pas ici à convertir qui que ce soit – il faudrait d’ailleurs alors tout autant convertir les chrétiens à l’écologie que les écologistes au christianisme, et ceux qui ne sont ni l’un ni l’autre au deux à la fois, enfin, je ne m’en sortirai pas… Non, je veux juste présenter ici ces quelques pistes qu’il m’a été donné de suivre – et que j’explore encore à ma petite mesure.
Le christianisme propose donc justement, pour répondre à Robert Hainard, cette morale à la mesure de notre puissance. Bien plus, loin de se contenter d’adapter la morale à mesure que notre puissance augmente, le christianisme propose de limiter cette puissance, de la limiter volontairement. Il dit que le progrès est avant tout moral, spirituel, qu’il réside dans la qualité de nos relations humaines, dans la justice, la paix, l’amour, bien plus que dans l’accroissement aveugle de notre puissance matérielle et technologique. Il dit même qu’un progrès qui n’est que matériel finit par se retourner contre l’homme et contre le monde, par devenir une idole ou une idéologie, et dès lors, réclamer du sang, c’est-à-dire détruire la vie.
Un progrès qui n’est que matériel, technologique, industriel, technique, finit par se retourner contre l’humanité et la nature, par générer la violence, l’injustice, l’inégalité, le ressentiment, la destruction, la division, l’envie, la guerre, la faim, la misère, l’exploitation… L’homme devient l’esclave de l’œuvre de ses mains, ce n’est plus l’outil qui sert l’homme mais l’homme qui sert la Machine. De ce point de vue là, les deux derniers siècles ont bien illustré ce que j’évoque, que ce soit dans le cadre du communisme ou du capitalisme – ou des deux à la fois, comme en Chine aujourd’hui.
Vous connaissez certainement la blague : « Le capitalisme, c’est l’exploitation de l’homme par l’homme. Le socialisme, c’est le contraire !... »
Le christianisme n’adapte pas seulement la morale à la puissance – car il faut une morale plus présente et plus forte là où les capacités de destruction sont plus grandes –, mais aussi la puissance à la morale – car il refuse justement que l’homme actualise toute sa puissance, développe tout son pouvoir et ne devienne ainsi un tyran – tyran de lui-même, des autres, du monde entier. L’économie dit : « Tout ce que nous voulons, faisons-le ! »
La technologie dit : « Tout ce que nous pouvons, faisons-le ! » Le christianisme dit : « Ne faisons que ce qui est bon. »
Dans une société de consommation et de compétition, où la plus grande richesse côtoie la plus grande pauvreté, où presque chaque acte de consommateur contribue à exploiter l’humanité et détruire la planète – car quand je choisis tel café ou tel produit ou que je me comporte de telle ou telle façon dans ma vie quotidienne de consommateur type, moi comme vous, je contribue, que je le veuille ou non, à détruire la planète et à exploiter l’humanité, et que je ferme les yeux et me bouche les oreilles pour garder bonne conscience n’y change rien -, dans cette société gouvernée donc par le pouvoir, le sexe et l’argent, par la quête du plaisir, la recherche de l’intérêt personnel et la volonté de puissance, bref par l’hédonisme, l’égoïsme et l’utilitarisme, il se pourrait que le christianisme ait quelque chose à nous dire, quelque bons conseils, une parole de sagesse et de vie.
De survie, serais-je tenté de dire, et c’est ici que ce que le christianisme dit de la vie et de la nature présente un intérêt – et un intérêt vital - pour toute personne. Car là où le monde impose l’esclavage de la consommation, le culte de l’apparence, la tyrannie du plaisir à tout prix, la cupidité et la convoitise, la poursuite absurde de la possession, le christianisme propose la liberté, l’amour, le don, le partage, la charité, l’aumône, l’ascèse, la maîtrise de soi, la chasteté, l’esprit de pauvreté – heureux ceux qui ont l’esprit de pauvreté !, et il faut le rappeler en ce temps de Carême… -, il propose la justice, la responsabilité, l’esprit de service, l’esprit de communauté, le souci de l’autre, l’amour du prochain, etc., bref tous les principes de base et d’excellence de toute écologie sociale, de toute écologie humaine.
Parlons maintenant plus directement de ce que le christianisme nous dit de la nature elle-même. Dès le début de la Bible est exprimée, dans le récit de la création du livre de la Genèse, la bonté fondamentale du créé, de la nature, de tout l’univers : « Et Dieu vit que cela était très bon. » La bénédiction de Dieu va à l’homme – « Soyez fécond et multipliez-vous… », etc. – mais aussi, et on l’oublie trop, à l’ordre animal : « Dieu les bénit aussi et leur dit : ‘Soyez féconds, multipliez, emplissez la mer et la terre…’ etc. »
D’où on peut conclure que la domination de l’homme sur la nature ne peut se faire contre la nature. Cette domination est une domination d’amour et non une exploitation : « Dieu plaça l’homme dans le jardin d’Eden pour qu’il le cultive et qu’il le garde », est-il dit plus loin dans la Genèse. L’homme vit en harmonie avec la nature, ce qu’exprime aussi le végétarisme originel tout au début du récit biblique.
Le péché de l’homme, ce que l’on appelle le péché originel, ce n’est pas une histoire simplette de pomme et de nudité, mais c’est justement de vouloir s’approprier la nature et le monde pour n’en faire qu’à sa guise, pour l’exploiter. C’est ne plus la considérer comme un don mais comme une possession. On le voit bien avec le récit de Noé : ce sont la violence et l’anarchie de l’humanité qui provoquent le Déluge – et il y aurait là quelque leçon à méditer pour notre temps -, mais Dieu veut tout de même sauver l’humanité – à travers Noé et sa famille – et toute la nature – à travers les couples de tous les animaux qui montent dans l’arche. Au sortir de l’arche, c’est avec toute l’humanité et tous les êtres vivants, toute chair, tout animal, toute vie, que Dieu prononce son alliance éternelle.
Ces récits bibliques sont bien sûr mythiques et symboliques, mais cela ne veut pas dire qu’ils soient faux pour autant, fabuleux ou fantastiques : ils prononcent dans un langage symbolique des vérités profondes que nous ferions bien d’entendre et d’écouter à nouveau.
Ce que montre le récit du Déluge, c’est que le salut de l’humanité et celui de la nature vont de pair, qu’on ne saurait les dissocier ni les séparer : sans nature, pas de futur ! Je ne résumerai pas ici toutes les leçons écologiques de la Bible, car il faudrait la relire tous ensemble entièrement ou presque – notamment les Psaumes, le livre de la Sagesse, etc. -, mais je vais faire un grand saut jusqu’au Nouveau Testament, les Evangiles et les Lettres de saint Paul, où il est affirmé – contrairement à ce que l’on pense souvent – que non seulement c’est l’humanité entière qui est destinée à être sauvée – corps et âme, chair et esprit – mais également toute la création, tout l’univers. Non seulement le christianisme ne déprécie pas la chair ni la matière, mais il affirme qu’elle est fondamentalement bonne, car elle vient de Dieu et va à Dieu.
Je passerai aussi, faute de temps, et pour ne pas vous épuiser, également sur toute la tradition écologique chrétienne qui a existé bien avant que le mot « écologie » n’existe. On peut songer à, saint François d’Assise, que Jean-Paul II a proclamé dès le début de son pontificat, en 1979 exactement, saint patron des écologistes. Mais saint François, qui attire à juste titre beaucoup de personnes même éloignées de l’Eglise, n’est en rien une exception – bien au contraire. Il a dans la tradition chrétienne des milliers d’équivalents masculins et féminins.
J’en viendrai donc directement à des expressions plus récentes de l’écologie chrétienne, à commencer par Jean-Paul II que je viens d’évoquer. On pourrait appeler Jean-Paul II le « pape vert » tant il a multiplié les déclarations en faveur de l’écologie et du respect de la nature. Jean-Paul II n’a cessé de rappeler que le souci de respecter et préserver l’intégrité de la création n’est pas optionnel pour un baptisé, mais un devoir fondamental, une obligation grave et sans réserve qui fait partie intégrante de la foi. Mais au-delà d’une déjà légitime sauvegarde de la nature, à l’exemple de Jésus, il nous invite à changer notre regard sur l’univers, à lui porter, au-delà de son utilité, un regard respectueux et aimant, plein de gratitude pour sa beauté foncière et manifeste. En appelant à une « écologie intérieure » qui soutienne l’« écologie extérieure », Jean-Paul II exhorte à soutenir et encourager la « conversion écologique » - ce sont ses propres mots - de tous les hommes à une écologie qui soit vraiment profonde et authentique, intégrale, qu’il appelle l’« écologie spirituelle ».
Benoît XVI n’est pas en reste de ce point de vue, ayant montré depuis des décennies une conscience écologique très forte, déclarant notamment alors qu’il n’était encore que cardinal : « Nous voyons précisément aujourd’hui que le retour à la terre, le respect de ses lois propres, la sauvegarde de la Création est un service fondamental redevenu nécessaire. » Lui non plus ne cesse de rappeler l’urgence écologique de nos temps, et y a consacré de longs moments dans son message du premier janvier dernier.
Comme avec Jean-Paul II, on remplirait une bibliothèque avec toutes ses déclarations et écrits en faveur du respect de la nature. Mais il est vrai que nous l’ignorons trop, les médias préférant se concentrer sur ce qui peut faire scandale, le scoop, quitte à déformer les paroles et manipuler les foules, comme nous l’avons vu récemment avec la fameuse « controverse » de Ratisbonne. Mais passons, revenons à nos petits moutons…
Je vous parlais tout à l’heure du Décalogue. Il est intéressant de voir que le Catéchisme de l’Eglise Catholique demande – je cite – « le respect religieux de l’intégrité de la création ». Il faut bien peser chaque mot : « le respect religieux de l’intégrité de la création ». Cette injonction prend place dans le cadre du respect du septième commandement du Décalogue : « Tu ne voleras pas. » Le Catéchisme affirme donc que l’on peut non seulement voler son prochain – ou son lointain, ce qui est plus pratique lorsqu’on l’exploite à distance – mais aussi que l’on peut voler la nature – bref, que la nature est aussi, d’une certaine façon, notre prochain…
Respecter le septième commandement consiste donc aussi dans ce « respect religieux de l’intégrité de la création, - je cite - grâce à un usage prudent et modéré des ressources minérales, végétales et animales qui existent dans l’univers, avec une attention spéciale aux espèces menacées d’extinction. » L’homme doit donc traiter avec bienveillance les animaux, qui sont des créatures de Dieu, tout comme les végétaux et les minéraux, et en refuser un usage aveugle, comme dans – je cite - « les expérimentations scientifiques effectuées au-delà des limites raisonnables et avec d’inutiles souffrances pour les animaux eux-mêmes », qui sont ici clairement désignées et condamnées. Il n’y a pas que des crimes contre l’humanité, il y a aussi des crimes contre la nature.
Toute la doctrine catholique le rappelle, que ce soit la Bible, la tradition chrétienne, les exemples des saints, les enseignements des papes – et pas que Jean-Paul II et Benoît XVI, mais aussi Paul VI, Jean XXIII, Pie XII, Pie XI, Benoît XV, saint Pie X…-, le Catéchisme, la doctrine sociale et économique de l’Eglise, etc. : il faut donc user avec rectitude et respect, gratitude et amour même, de la création, car la création est la manifestation de l’amour tout-puissant et sage de Dieu.
L’Ecriture elle-même nous fait connaître la valeur de la création et sa finalité qui est la louange de Dieu. Ainsi, comme le rappelle le Catéchisme, « il existe une unité et une solidarité entre les créatures, car toutes ont le même créateur, toutes sont aimées de lui et sont ordonnées à sa gloire. Respecter les lois inscrites dans la création et les rapports découlant de la nature des choses constitue donc un principe de sagesse et un fondement de la morale. »
C’est ce fondement possible et solide d’une morale écologique, d’une sagesse écologique, qui s’adresse à toute personne de bonne volonté, que j’ai voulu vous présenter ici. J’espère que mon propos n’aura pas été complètement inintéressant ni inutile. Merci de votre patience.